Franck Chalendard
Updated — 17/10/2017

Identité composite

Identité composite, par Yves Michaud

Publié dans Connaissance des Arts, n°550, mai 1998

 

Franck Chalendard travaille à partir de bois de récupération ou de plaques de carton compressé qui sont découpés à certains formats réguliers et simples – des carrés et des rectangles de quelques dizaines de centimètres. Ces surfaces sont ensuite enduites, puis peintes à l'huile en superposant des couleurs très liquides qui se déposent en voiles et glacis. Parfois la couleur finale est opaque, parfois elle est transparente ; parfois elle est mate, parfois brillante. Le peintre se donne ainsi un nuancier à lui, avec des tonalités étranges, difficiles à nommer, où se mêlent une franche affirmation de la couleur et une qualité diaphane. Cette rencontre est tendue mais sans brutalité.
Ensuite, Chalendard agence ces plaques sur le mur en un seul tableau, à l'aide de fines pointes. Les surfaces colorées ne sont pas clouées mais ajustées les unes aux autres. Il subsiste donc des interstices à peine visibles entre elles. Cet élément interstitiel, ce jeu entre les surfaces, contribue à l'effet tremblé de l'ensemble. Parfois, Chalendard superpose en quelques endroits une plaque de plus sur une autre, ou sur une partie d'une autre, pour introduire une différence de couleur, modifier un peu, corriger, l'équilibre ou le déséquilibre de l'ensemble. Ces additions rendent la surface légèrement inégale – en termes de planéité cette fois.
Une autre sorte de jeu en résulte, à peine visible lui aussi. Le tableau final est fait de la coexistence de ces surfaces : il a quelque chose de précaire et de momentané – tout en étant fortement présent. Les éléments qui le composent diffèrent de couleur, mais aussi de format (légèrement) et d'épaisseur (légèrement encore). C'est un tableau composite, un échiquier visuel, une pièce à la fois certaine et incertaine. Pour le transport, tout peut voyager en fragments séparés et empaquetés qui seront montés sur place. Ici encore, la force déclarative et déclamative de la peinture s'estompe. D'autres pièces sont obtenues à partir des restes et dessous de ces opérations, lorsque Chalendard récupère et retravaille les surfaces sur lesquelles reposaient les plaques peintes directement.
En décrivant le processus de travail de Franck Chalendard, je n'ai nullement l'intention de le ranger dans une catégorie d'art processuel ni conceptuel. Je cherche plutôt à rendre compte de l'étrange et prenant tremblement visuel de ses tableaux. De loin, ils paraissent des constructions géométriques à la manière des peintures constructivistes agrandies – mais cette construction donne en même temps le sentiment de la nuance, de la subtilité et, pourquoi pas, d'une sorte de fragilité. Elle est solide et composée, mais elle est aussi délicate, de guingois, dissonante, tout le contraire d'une affirmation péremptoire. Il y a là un constructivisme qui sait laisser place au tremblement visuel qu'apporte toute grande peinture.