Éric Hurtado
Updated — 23/10/2012

Texte de Laurence Huault-Nesme

Texte de Laurence Huault-Nesme
Catalogue de l'exposition Le point aveugle, Musée Hébert, La Tronche, 2009

L'exposition « Le point aveugle » est née d'une double rencontre, celle d'Eric Hurtado avec la maison et les jardins d'Ernest Hébert, un « lieu habité par la peinture » comme il aime à le dire et celle avec le peintre paysagiste Jean Achard, présenté dans la grande galerie cette même année. Si le photographe « ne fait qu'aider l'image à se faire » comme le note Arnaud Claas, il partage avec le peintre, outre le désir de fixer une scène naturelle à travers le choix d'un sujet, le désir d'amener le spectateur à bien voir ce qu'il a capté. Les paysagistes réalistes de 1850 ont ouvert la voie aux premiers photographes tel Le Secq : cadrage serré sur le motif, notations des effets lumineux sur la végétation lors de longues séances en plein air ; une pratique qui n'est pas étrangère à celle d'Hurtado qui s'est découvert ici une parenté avec les artistes du XIXe siècle. Il a choisi de retrouver cette relation en travaillant sur les pas d'Hébert et en posant son regard sur ses jardins.

Eric Hurtado laisse le  paysage venir à lui et se fondre en lui. L'angle de vue choisi, il installe son appareil argentique et guette patiemment l'heure propice. Le moment, où plutôt les minutes, où la lumière glisse dans la nuit et donne sens au sujet qu'il fixe ; l'instant où les éléments s'atomisent et s'offrent alors au photographe : gouffres d'ombre qu'un clair de lune saupoudre d'éclats lumineux. Il joue sur l'effacement dans la profondeur, espace indéfini gagné par l'obscurité. Mais l'imprécis de certaines zones de l'image semble contredit par la netteté des plans, obtenue par la pose prolongée et la fermeture du diaphragme. Le regard s'y perd tout en laissant au spectateur la liberté de recréer sa propre fiction.

La quête du photographe le conduit des confins crépusculaires aux prémices de la nuit. Nautonier de l'ombre et guide de vigie, il nous délivre une vision « autre », celle « d'une nuit transfigurée ». A ses cotés, passagers en attente d'un port, nous abordons les rivages de ses paysages noctiluques. Les repères diurnes effacés, le spectateur est invité à se laisser aller à l'aventure d'un voyage aléatoire que les photographies jalonnent. Celles-ci nous rappellent la fragilité de nos certitudes et manifestent la présence d'un « entre-monde » où « les choses se font et se défont ». En dressant, en quelque sorte, un miroir au noir des jardins d'Hébert, Eric Hurtado nous dévoile « ce qui est et ce qui n'est pas », nous rapprochant du cœur de la nature.