Anne Le Troter
Updated — 07/12/2017

La voix humaine

La voix humaine (extrait)
par Claire Moulène, Les Inrocks, septembre 2015

"[...] Dans cette ancienne boutique de revêtements de sol qui longe les bords de Saône, l'artiste a calfeutré l'espace avec des chutes de moquette pâle, qui se déversent depuis leur promotoire en nappes feutrées sur le sol de ce centre d'art de poche. L'installation se dédouble dans le second espace, dans l'arrière boutique. C'est dans ce décor cuit à l'étouffée qu'elle fait entendre - comme un slam - la musique des enquêteurs téléphoniques, caste invisible et anonyme, qui renvoie souvent à des contrées exotiques et dont l'artiste fit un temps partie pour boucler ses fins de mois. Sauf qu'ici, contrairement à la hotline intimiste de Camille Henrot, [...] également présentée à Lyon, ce n'est pas tant le message, ni même la circulation des informations, qui intéresse Anne Le Troter, mais bien plutôt la litanie de cette langue ovni, sa forme et sa malléabilité en somme.
"Dans ces métiers, la voix est choisie pour sa beauté, son élocution, sa clarté, sa persuasion"
, raconte ainsi Anne Le Troter, qui a sollicité neuf enquêteurs téléphoniques répartis ensuite en trois groupes. À l'unisson, mais dans un format symphonique assez sophistiqué, le premier groupe reproduit les questions types : un peu, beaucoup, pas du tout. Le deuxième groupe interroge à son tour le premier sur la mécanique du langage ("la langue tourne, tourne dans la bouche", tandis que le troisième ensemble fait écho aux deux premiers. Cet opéra multipistes est habillement entrecoupé de séquences abstraites, mais qui reprennent en fait les sonorités de parties sportives (foot, badminton, ping-pong). Presque de la musique d'ascenseur, des "phases percussives", comme le dit joliment l'artiste, "qui encadrent et aérent le langage des enquêteurs et correspondent aux stratégies d'écoute bien connues des call-centers".
Des allers-retours qui symbolisent aussi une forme de spatialisation du son, l'installation elle-même bégayant entre deux espaces qui invitent le spectateur à circuler de l'un à l'autre. On reprend son souffle, c'est reparti." [...]