Florent Meng Lechevallier
Updated — 02/05/2017

Notes sur H2

Notes sur H2
Par Simone Dompeyre, 2014

Que celui qui pense en H2, voir la suite du remake d'Halloween de Rob Zombie, tel manga du même titre ou quelque figure de jeu vidéo, s'effraie : Notes sur H2 emprunte à de toutes autres sources et en assume la filiation dans son générique de fin... s'il se risque cependant à prendre vue sur ce film, il en comprendra le teneur et l'intelligent tressage. H2 couvre environ 20% du territoire municipal de la ville de Hébron, en Cisjordanie, à la suite du Protocole de même nom, où Israël maintient une présence militaire, et le contrôle de divers aspects de la vie quotidienne. Si le propos est politique, l'écriture préfère la métaphore au constat plat d'un reportage. Les Notes ne sont pas celles d'une avant-réalisation, mais elles deviennent synonymes d'essai concernant tout autant le politique que l'écriture-cinéma.

Deux montres au poignet de métal enserrent le premier moment, en guise de nom de marque, l'une inscrit Marco, l'autre Polo, elles placent le film sous l'égide du découvreur vénitien du XIIIe siècle. Le temps qu'elles donnent bouscule la durée en un début à 11h moins 25 et une arrivée à 4h30, ce n'est pas l'étalon de la logique quotidienne qui importe et les périodes s'y croisent pour un temps anhistorique susceptible d'entraîner la réflexion sur notre actualité.

La description d'une ville abandonnée, assortie de la réflexion « je suis une légende », en reconnaissance sans ambiguïté du roman et du livre de science-fiction, éponymes, s'accorde aux fragments de Le Monde, la chair et le diable : The World, The Flesh and the Devil, film d'après-apocalypse américain de Ranald MacDougall, réalisé en 1959. Un homme court dans New York, jonchée d'objets abandonnés, il tient un appareil de détection de radioactivité, minuscule dans le plan d'ensemble en plongée, il est la solitude cherchant l'autre. Le leitmotiv de moments de sa quête d'autres survivants entraîne la lecture plurielle de la prise de vue, actuelle et en couleur, d'une seconde ville, du Moyen Orient, inondée de chaleur, de lumière et d'une même solitude. Des portes fermées répondent aux portes barricadées décrites, une étroite cabane vide se fait l'écho image des « guérites de gardes désertées »... pourtant le lieu de H2 se précise ; des lambeaux de tissu flottent sur des barbelés rectangulaires de fer, les maisons sont de pierres blanches, les fenêtres murées sont en plein cintre et décorées des festons de pierre arabes, des enseignes usent de l'écriture en arabesque de ces mêmes contrées et alors que se prépare la rencontre, tel portail moins abimé porte la peinture de deux femmes voilées, et des drapeaux israéliens se multiplient jusqu'à flotter sur tous les lampadaires d'une avenue.

Ainsi lorsque longuement le plan reste sur l'ombre portée d'un drapeau et le commentaire associé concerne des familles ayant dû tout quitter, la liaison se fait sans mal même si le texte conduit à la description de Navajos emmitouflés dans de vieilles couvertures. Ce montage en contrepoint devance le récit d'hommes enfonçant les mauvaises paroles dans la terre qui blessée par leur horreur, s'en vengent en les libérant. Il devance le cimetière de tombes arabes. Dans Notes sur H2, la parole est sans voix dite. Par ailleurs, son intertextualité invite à ouvrir d'autres champs et à lire une variation des paroles gelées rabelaisiennes, retenues d'abord dans les nuages et retombant en tintamarre sur Pantagruel et ses compagnons en bateau car c'étaient les bruits de guerre.

Le sous-titre ou plutôt le texte constant revendique le refus de l'enregistrement oral jusqu'à écrire ainsi le dialogue du deuxième moment vers lequel tend le film. Tous les travellings à travers la ville souvent en ruines où les seuls êtres vivants sont des chiens, où la seule silhouette est celle d'un épouvantail, les panoramiques qui font le tour des places sont avides de cette présence-là, de ce propos-là.

Rester, sans peur : cette parole, le montage vertical la relie à un vieil homme fatigué, fabricant de cercueils qui s'entassent, occultés par des tissus ; cet homme en bleu de travail taché ne veut pas quitter son lieu, n'ayant nulle part où aller, ne craignant pas la mort que Dieu réserve à tous et qui est éternelle.  
Que le cercueil qu'il découvre porte une croix de bois comme le second exposé sans linge, un crucifix, importe peu... son attitude est digne, sans éclats ni lamentations. Il est celui qui demeure. Il appartient à la classe des hommes qui résistent et le dialogue, s'il peut lui être rapporté, reprend pourtant celui enregistré par Werner Herzog. En effet, août 1976, un homme refusa d'évacuer la zone menacée par l'éruption imminente de la Soufrière, en Guadeloupe. Cela provoqua chez le cinéaste le désir de le rencontrer, de connaître ses motivations, son état d'esprit et il en réalisa La Soufrière.

Si le projet humaniste de défense des droits des hommes à leur terre, si la pensée sur l'impossibilité de liberté en terrain surveillé sont évidents, Florent Meng les prend selon un cheminement cinématographique. La musique composée par Ceel Mogami de Haas participe à son atmosphère, en liant des composants, au départ fort étrangers, dans une variation envoûtante éloignant à jamais de tout regard didactique.

Certes le film enchâssé lutte contre le racisme, le refus de l'autre, mais les plans retenus par Notes sur H2 sont de grande composition, ils privilégient la grande verticale croisée à la perspective, la recherche de la grande profondeur du champ susceptible de montage interne ; en outre, ils sont diffusés dans le petit écran, lui-même doté d'un appareil de contrôle,  que le surcadrage intègre dans le champ par trois fois.

Très explicitement, après avoir quitté l'homme et filmé des champs d'oliviers jonchés d'olives sèches, Florent Meng écrit « j'espérais ne pas partir sans une fin pour mon film » et avouant qu'à son retour, il n'avait « pu filmer ce jour-là », il filme cependant de petites fleurs type crocus mauves, devant lesquelles il a disposé un papier de contrôle colorimétrique. Bande reprise sous une marine du XIXe siècle, du peintre américain Homer Winslow, introduite après le bref générique ; loin de cette terre aride, The Gulf Stream, décrit un marin allongé dans son cotre au mât brisé et bousculé par la mer houleuse et infestée de requins. Le tableau est posé sur un roman ouvert, lui–même sur un autre plus grand dont se dit phrase : je suis une légende. » Florent Meng sait qu'on ne crée pas de rien et que la pensée, y compris filmique, se nourrit des œuvres pour inventer sa propre parole cinématographique.

© Adagp, Paris