Guillaume Robert
Updated — 19/12/2022

Drina

Drina, 2011-2012
Par Guillaume Robert

Entre 1992 et 1995, des villes de Bosnie (Sarajevo, Goražde, Sebrenica, Žepa...) subissent le siège de l'armée de la république serbe de Bosnie. Afin de pallier la pénurie, des habitants fabriquent des objets à partir de matériaux récupérés ou d'objets détournés de leur fonction première. Ces actes de création sont dictés par l'urgence et la nécessité, et contribuent à la résistance de ces villes et à la survie des habitants.

Dans Goražde : la guerre en Bosnie orientale, 1993-1995, Joe Sacco décrit sur quelques pages des machines artisanales et improvisées, des mini-centrales hydroélectriques, sortes de radeaux flottants sur la Drina fixées aux berges ou aux ponts. Une tentative de désenclavement. Pouvoir écouter les radios, et accéder ainsi à l'extérieur. Egalement s'éclairer et faire fonctionner quelques instruments médicaux.

Les mini-centrales sont des objets qui concentrent histoire, résistance, paysage, autonomie, énergie, sculpturalité, «do it yourself», étrangeté. Ce sont des objets qui induisent un précipité, un point de condensation entre des densités historiques tout à fait épouvantables et une potentialité poétique, imaginaire, fictionnelle.

Le processus de travail du projet Drina s'est orienté vers la reconstruction d'une de ces machines avec l'aide d'habitants de Goražde, ou plus précisément avec l'aide de Juso, mécanicien à la retraite aujourd'hui, qui fut à l'initiative de la conception et fabrication de ces machines en 1993. Dans un premier temps Guillaume Robert, accompagné dans sa démarche du musicien Baptiste Tanné qui vivait alors à Sarajevo, a enquêté à Goražde sur l'existence, la technique et le contexte historique de création de ces machines. Guillaume et Baptiste ont rencontré différents protagonistes dont Edin qui est une figure centrale de l'ouvrage de Joe Sacco.

Entrés en contact avec Juso Velic, ils ont proposé à ce dernier de reconstruire une mini-centrale. Le processus s'emploie alors à relayer et à documenter (à partir d'un point de fixation très concret : la recréation d'une mini-centrale hydroélectrique) une expérience limite et héroïque : la résistance au siège serbe des habitants de Goražde il y a quinze ans. La construction de la machine dans le garage de Juso Velic à Goražde s'est déroulée en juin 2011. Fin juillet, la mini-centrale fut mise à l'eau sur la rivière, accrochée au principal pont de la ville.
Les étapes de construction et de mise à l'eau de la mini-centrale sont documentées via le film éponyme du projet : Drina. Le film s'appuie sur le processus de façon à proposer une trace du projet artistique global, mais surtout à constituer une expérience filmique singulière.

Il ne s'agit pas d'un film didactique, factuel mais d'une forme d'écriture assez lyrique qui travaille, cherche à se constituer autour de la construction de la machine.

Aux données historiques ou techniques, est préférée une approche plus directement sensuelle : la construction de la mini-centrale devient un fil rouge, un prétexte afin de montrer du travail, du temps, de la présence, de la pensée, de la chair... Le film explore ainsi une picturalité de la photographie (portrait, paysage, allégorie) grâce à une écriture qui se passe quasiment de texte ou de dialogue. L'écriture filmique est tendue par une caméra autonome, capable de s'affranchir de l'action, paraissant basculer tantôt vers des réminiscences du réalisme socialiste, tantôt vers des formes plus enclines au réalisme magique. Les peaux, les plans serrés et flottants : une espèce d'érotisme de la masculinité se dégage de ces jeux de garçons.