Guillaume Robert
Updated — 19/12/2022

Modélisation des émeutes

Modélisation des émeutes, modelage de l'Histoire
Par Paul de Sorbier, commissaire de l'exposition
Pour la revue Écrire l'Histoire, n°11, printemps 2013

Propagande offre à voir, à entendre et lire un univers fictionnel qui convie une diversité de matériaux et formes (images, textes, son, mobilier).

Aux murs, les images. Elles proposent des cartographies thématiques étranges, des planisphères décoratifs qui rappellent les motifs de l'art optique. Une photographie est également présente. Elle représente l'ouvrage de Paul Feyerabend : Contre la méthode, Esquisse d'une théorie anarchiste de la connaissance. Cet ensemble iconographique perturbe les repères du public. Il le situe dans une sorte de salle d'attente, hors temps et hors lieu.
Dans l'espace, quatre tables sont aussi disposées. Elles offrent à la lecture le cœur de cette proposition artistique : un journal. Ce journal contient un ensemble d'éléments textuels et iconographiques surmontés d'un énoncé intriguant : "Modèle dynamique de propagation des émeutes sur la Terre".

Propagande montre, et se donne à lire simultanément. L'exposition construit un rapport direct au présent qui apparaît dès les premiers mots du texte édité dans le journal : "L'émeute surgit, soudaine, spontanée...". Ici le printemps arabe – tout comme les différentes séquences d'émeutes urbaines qui agitent périodiquement la sphère médiatique – nous viennent à l'esprit. Pour autant, ces références immédiates ne seront pas davantage explicites ici. Elles composent un soubassement à la mise en place d'une fiction pseudo-scientifique qui délire très rationnellement le surgissement et la propagation des émeutes. Leur historicité se dévoile vite incomplète et dirigée (primauté du marxisme, du positivisme, du scientisme), une historicité joueuse et fallacieuse (mécanisme explicatif du monde social à travers les principes de la thermodynamique), une historicité qui se compose manifestement selon un opportuniste butinage de références. Dans la construction de l'objet Propagande, en définitive, prime le choix esthétique des auteurs.

Cependant, Propagande construit davantage qu'une accumulation de références rocambolesques. La constitution de ce territoire artistique fait penser le présent de façon inédite. À force de décentrement et de recouvrement, à partir de ce creuset acrobatique de références, l'exposition induit un vertige perceptif et conceptuel, elle compose un monde parallèle, fictionnalise la fabrication du présent. L'exposition Propagande agit alors comme une uchronie au présent. Si l'expérience de l'exposition reconduit finalement le visiteur sur la question précise de l'émeute, ce retour
au présent ne trouve sa trajectoire qu'à travers le crible des éléments sensibles produits par l'artiste. Une forme complexe que Guillaume Robert conçoit comme une métaphore, comme un symptôme, non du réel même, mais de nos outils de connaissance du réel, de nos outils d'analyse du présent et sa fabrication (science, philosophie, politique). Nous rejoignons ici la place faite à Feyerabend.

Le rôle de l'artiste plasticien n'est pas d'affirmer le réel ou le présent mais de permettre à tous de se le représenter un peu plus. Comme l'explique Paul Ardenne, les artistes plasticiens, qui souhaitent s'absoudre des postures idéologiques tout en s'emparant de la matière historique, proposent des micro-récits esthétiques, des modelages élaborés selon des règles qui leur sont propres. Ils se saisissent de l'histoire comme d'un matériau qu'il s'agit de s'approprier, de faire sien. À l'exemple de l'exposition Propagande, cette écriture parcellaire, au singulier, "effrite le sens commun" faisant de l'artiste plasticien un contributeur au décryptage du présent.