Contemporary art publications — Visual artists in Auvergne-Rhône-Alpes, France

Marion ROBIN

update February 01 2022

Textes ci-dessous :

  • Lucia Sagradini, Troubler le regard, Elsa Mazeau & Marion Robin, 2018
  • Pierre Mabille, Mon œil, 2011


Autres textes dans le dossier :




Extrait de Troubler le regard, Elsa Mazeau & Marion Robin
Par Lucia Sagradini, 2018

Publié dans la revue Multitudes n°70, dossier Icônes

[...] Depuis Proun d'El Lissitzky, il y a une histoire qui conduit la peinture à se jouer dans l'espace et à sortir du tableau. Marion Robin a une pratique artistique qui peut s'inscrire dans la poursuite d'un en-dehors : la peinture bondit hors du tableau et s'installe dans une relation à l'espace. Dans son attachement à interpréter les lieux, l'artiste intervient dans l'en-dehors de la toile, elle s'attache souvent aux sols, lieux moins visités par la pratique picturale, sans être cependant intouchés par elle, mais la particularité de Marion Robin est peut-être dans son attention au détail. Il peut s'agir d'une étoile peinte sur une maison, pour *, gouttière discrète, pour Les couleuvres, carrelage vétuste, pour Les roses des vents. C'est d'abord un travail d'observation, Marion Robin investit les lieux jusqu'à saisir un détail, le retenir, un élément qu'elle "tire" et poursuit pour réaliser son intervention. Elle peut redessiner des plans, travailler un motif, ou une gamme chromatique. Les lieux sont alors comme métamorphosés par son geste et son caractère ludique – l'illusion est un jeu – éphémère, les lieux ne garderont pas la trace de ses interventions. Ainsi, le geste plastique se construit dans un rapport au détail qui devient, dans ses interventions, puissance de transformation.

Le détail peut être alors compris comme le plus petit élément qu'elle rend signifiant, agissant. C'est une pratique artistique qui fait le choix du petit. Marion Robin saisit "l'insignifiance" des lieux. Ce faisant elle interroge notre capacité à voir. Quel élément pour ainsi dire inaperçu va devenir cœur du dispositif chez Robin ? L'acuité de son regard est le premier mouvement de ce travail, car Robin devient Diane chasseresse de l'imperceptible. Elle est traqueuse, pisteuse, chasseuse. Le rendant à la vue, le détail devient dans un même temps : saisissement de l'invisible et transformation de l'espace. À ce moment-là du travail, elle opère une malicieuse transformation de l'espace mais également de celui qui s'y trouve. Elle change la relation et ouvre des pistes pour établir des liens entre la personne et le lieu, entre nous et la peinture aussi. Les interventions de Marion Robin sont comme la mise en pratique d'une histoire rapprochée de la peinture. Par ses actions, elle réhabilite le détail, et dans cette réhabilitation, c'est également le motif décoratif qui se trouve revisité, mis à une tout autre place. Elle l'inscrit dans une histoire, qui va à rebrousse-poil d'un "Ornement est crime" pour convoquer Adolf Loos. Et là, on n'est pas loin d'imaginer que dans ce travail de réhabilitation, il y a aussi un discret et sensible travail de réparation.

Dans le troisième mouvement, celui où le "vif invisible" des lieux est rendu présent, l'artiste construit un travail qui déjoue l'optique, les sols se soulèvent, les murs s'ouvrent sur des trouées étranges, faites d'inversions qui nous déplacent. Mais retenant le "faible motif", l'élément vulnérable, elle lui donne une nouvelle dimension qui lui permet de métamorphoser l'ensemble. Le lieu devient autre. Le trouble est là. Mais c'est comme un conte ou une berceuse, l'image devient philosophante. Son travail ressemble à ces lieux de survivance que sont les arts dits mineurs. Elle met alors à jour des souvenirs enfouis, c'est comme si ce saisissement de l'espace par l'artiste porte une intimité avec le geste de l'archéologue. Lui aussi, il met à jour. Comme lorsque l'on regarde les images d'excavation de statues aux prémices de l'archéologie moderne. Il y a de l'origine-tourbillon qui surgit. Mystérieuse et trouble car découvrant une absence de point fixe.

D'ailleurs, l'approche de l'artiste concernant le choix des photographies qui devaient retenir et "montrer" son travail a été éminemment signifiante à cet endroit. Très vite, "les images des images" sont aussi devenues agissantes, car recréant une illusion sur le travail de l'illusion. Ainsi, l'image du détail de l'intervention à la patinoire, pour Harengs sec dans l'eau lisse, crée elle-même du trouble, si l'on ne regarde qu'elle, il est possible de se demander s'il s'agit d'une peinture, avec un étrange effet de dessus-dessous. Ou encore, sa décision de renverser l'image de son intervention, Tchhop, à la Chapelle Sainte-Tréphine, qui vient donner encore une fois une tout autre perception. Dans un geste apparemment simple, l'artiste met au sol l'équivalent du fond rouge de la peinture de la voûte, le fond vient alors à l'avant-plan, en écho à la peinture, et là, c'est l'histoire sanglante de la sainte qui apparaît, comme dévoilée au jour. Lorsqu'elle choisit l'image pour en rendre compte, elle la renverse, et d'un coup, la chapelle devient bateau et l'on imagine le peuple de marins, leur affinité avec la mer qui faisait de leur chapelle des coques de bateaux. L'illusion n'a pas de fin. Elle se poursuit au-delà de l'intervention. Le trouble est une manière d'être. Car, il sème tout autant le doute qu'il récolte de nouvelles expériences, de nouvelles perceptions. [...]



 

 

Mon œil
Par Pierre Mabille, 2011

Souvenir d'une salle d'attente réalisée par Marion Robin (1) pendant sa quatrième année à l'école d'art de Clermont-Ferrand.
En entrant dans l'espace de présentation, le spectateur est dans un premier temps confronté à l'envers du décor, qu'il identifie comme le verso d'un espace scénique : structures bois pour tenir deux cloisons en angle, avec sacs de sable pour faire poids sur les bases. Une fois à l'intérieur du décor, la salle d'attente apparaît comme une image 3D à l'échelle 1 : deux pans de murs couverts d'un papier peint à motifs géométriques et sol lino imitation plancher, enfin, quelques chaises en skaï et une table basse.
En lieu et place des magazines sont disposés des flip books montrant des personnages assis sur les mêmes chaises, en situation d'attente, d'ennui, ou en train de consulter le même flip book. Le mouvement reconstitué par ces flip books est pauvre, parfois inexistant, c'est parfois juste un plan fixe sur une chaise.
Les bases du travail de Marion Robin patientaient dans cette salle d'attente : son  goût pour la mise en scène, les espaces sans qualité, bricolages, leurres, imitations, la réflexivité et les jeux sur le point de vue avec ce genre d'humour détaché.

En 2004 : c'est le rêve d'une surface de représentation qui fonctionne comme la surface d'une fenêtre : elle cadre l'extérieur, et superpose à cette image les reflets de ce qui se passe à l'intérieur.
L'idée c'est : Surface sensible.
La fenêtre autoreverse qui enregistre le réel recto verso. Imagine.
Imagine la mémoire d'une fenêtre.
Histoire mondiale du cinéma depuis la grotte de Platon jusqu'aux Frères Coen, en passant par la période foraine, lanternes magiques, Frères Lumière, Meliès, avec en bonus une sélection d'apparitions divines homologuées (bien souvent aussi dans des grottes). Annexe prospective sur mondes virtuels & jeux vidéo.
Bibliographie incluant histoire raisonnée du spiritisme, l'histoire de la peinture du point de vue de la voyance, les miroirs feraient mieux de s'y prendre à deux fois avant de réfléchir, etc. L'invention du verre, le dilemme translucidité et extralucidité, crise mondiale du sujet, l'hologramme a-t-il un futur antérieur, etc.

Une image est plate, c'est une surface, un film sans épaisseur, opaque, transparent, translucide, je l'obture. Une image je la prends, je la retourne, je la plie, je la froisse et la défroisse, je la troue, la déchire. Ou je la garde sur  moi, je la chiffonne, je la jette. Les images on en a plein, on fait ce qu'on veut.
Mon œil.
Là où les peintres dans le genre Marion Robin et ceux dans mon genre tombent d'accord, c'est à propos des images : elles ne sont pas forcément des problèmes, mais elles sont au moins des réserves de questions. Une image n'est jamais une représentation exclusive du réel, elle n'est pas une donnée brute, même si elle tend à occuper une position dominante.
Elle est le résultat d'une construction.

Petits leurres entre amis - Bricopiécollage

Il s'agit d'une attitude face aux images. Avant d'en disposer, de les manipuler, on danse avec elles. Une image on lui tourne le dos ou on rêve d'entreprendre un voyage à l'intérieur. Dans son épaisseur, son vide, sa profondeur de champ.

Ce voyage dans l'image reste un rêve, puisqu'elle est plate, et c'est tant mieux.
On peut
toujours
rêver.

La terre n'est pas assez ronde

L'Amérique du Nord produit une sensation de déjà vu si forte qu'on n'entre pas dans ce qu'on appelle un pays mais dans une brume d'images provenant d'un grand bazar fictionnel qu'on nous a injecté. Cette brume fait écran, nous dicte un rôle, nous interdit l'accès au réel. Elle nous arrête au seuil.

Fabrication artisanale de reflets

Sur cette photographie, le point de vue en plongée confère au paysage des faux-airs de maquette. On est juste avant l'entrée en scène, un petit tour de piste avant, côté cour et côté jardin.
Attention cabane au Canada, attention piège.
Si les images sont des pièges même pas peur.
Si les images sont des pièges l'idée c'est : les prendre à leurs propres pièges.

Mirages sur mesure - Vrais-faux semblants

Dans une exposition de Markus Raetz (1), le visiteur tourne autour d'une petite sculpture abstraite en fil de fer. Quand son regard aplatit cette abstraction 3D, surgissent des signes lisibles. C'est par exemple une sculpture qui écrit CECI d'un certain point de vue, et CELA d'un autre point de vue.
Magique.
Magique ? Imagine.
Imagine une sculpture de M.R., qui présente d'un point de vue le mot magie, de l'autre son anagramme, le mot image. Cette sculpture existe ou bien elle est imaginée. Ce n'est pas une magie de mage ni une magie de magicien. Juste un tour de passe-passe.
Réalisé avec trucage.
Alors que Markus Raetz utilise la tridimentionnalité de la sculpture pour proposer des vues planes, Marion Robin dépose l'image photographique plane d'un angle sur celui-ci. M.R. et M.R. dévoilent en même temps le truc et l'illusion, le stratagème et son objectif.

Détrompe-l'œil - magique ? c'est toi qui vois.

À sa manière discrète Marion Robin connecte un ensemble éclectique d'artistes, dont les membres principaux se nomment Athanase Kirchert, René Magritte (2), Markus Raetz (1), Felice Varini, on peut penser aussi à Yaacov Agam, Tatania Trouvé, Richard Wright, Thomas Huber.
En provoquant des courts-circuits entre le cerveau et l'œil, entre l'intelligible et le sensible, ils pointent la complexité derrière les évidences et accessoirement nous prennent par les sentiments, car ce sont des artistes souvent malicieux, précis et ingénieux.

Imagine. Imagine une salle d'attente, un hall, un terrain vague, un angle mort. Dans les moments de vacuité reviennent des bribes d'une ritournelle.

Tu me fais tourner la tête

À contre courant d'un art autoritaire et spectaculaire, c'est une esthétique du presque rien aux limites de l'inaperçu. Une fabrique de petits désordres & éboulis qui fragilisent les normes convenues de la représentation. L'idée c'est : inverser, renverser, faire valser.

On ferait le tour du monde
que ça ne tournerait pas plus que ça.

(1) M.R
(2) R.M