Baptiste Croze
Dossier mis à jour — 17/01/2018

Emboîter les trouvés

Emboîter les trouvés
Par Martial Deflacieux, 2016

Le travail de Baptiste Croze répond à des règles aux apparences simples qui ne sauraient en réalité cacher la lente maturation de ses recherches. Bien entendu, on peut circonscrire la démarche autour de quelques activités, par exemple : trier, chiner, collectionner et rassembler, puis : poncer, mouler, démouler, couper, photographier, et enfin : disposer, répandre, afficher, installer. Ceci étant dit, on ne peut pas décrire aussi simplement ce que fait Baptiste ; est-il photographe, sculpteur, plasticien ? On ne peut pas trancher. Disons, à le voir travailler, qu'il y a là un certain plaisir à chercher des combinaisons.

Il combine avec une science assez précise de ce qui convient. « Ce qui convient » est l'étymologie même du mot décor. De là à penser qu'il travaille sur le décor, il y a un pas que je ne franchirais pas sans le lui emboîter. Alors plutôt que de chercher, Baptiste cherche à trouver.

« Emboîter les trouvés » c'est l'expression que je donnerais volontiers à une partie de son travail. Oui, je sais, l'expression à un coté un peu lubrique, mais reconnaissons qu'il existe plus qu'une « pointe » de sexualité dans ses œuvres. La Série Sculptural Studies n'était-elle pas volontairement composée d'objets « phalliques » ? Si on considère la genèse du travail, on trouve facilement dans les premiers travaux de quoi alimenter cette hypothèse. En 2009, une vidéo de l'artiste le montre en train de s'embrasser le bras de façon à le peindre de rouge à lèvres jusqu'aux limites accessibles de sa bouche. Rougir ! 1 démontrait déjà les plaisirs ambigus de la transformation.

Aujourd'hui, ce qui plait principalement à cet artiste c'est de combiner des transformations. Durant l'hiver 2016, je l'ai vu mettre en place plusieurs nouvelles séries. Je peux donc témoigner, depuis ce fragile endroit dont le nom est bien souvent galvaudé, que l'atelier avec Baptiste Croze prend toutes les dimensions qu'on souhaiterait qu'il ait : lieu d'expérimentations, d'accidents, de trouvailles, de surprises, faits d'une attention rigoureuse avec la part de naïveté nécessaire à tout processus artistique. La démarche de Baptiste le contraint à inventer ses outils, à apporter des solutions aux problèmes qu'il semble seul à se poser. Comment, par exemple, s'assurer de produire un contre-moulage réussi d'un buste de Marilyn Monroe ou d'Elvis Presley ? Comment ajuster au mieux la forme d'un applicateur de cire avec celle d'un pot d'eau ? Quelle est la meilleure tranche de tel ou tel objet polygonal ? Autant de questions strictement en lien avec les séries qu'il développe.

Les formes données est le titre de l'une de ses dernières séries justement. Ces étranges couples d'objets aussi fascinés mutuellement que tout semblait les opposer, rament à contre courant du mythe d'Aristophane et d'une androgynie supposée scindée en deux. Ces couples d'objets se retrouvent unis non pas parce qu'ils constitueraient l'évidente moitié de l'autre, mais au contraire parce qu'ils en sont en quelque sorte le miroir opposé. Cette image n'est pas sans rappeler « la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie », célèbre formule de Lautréamont qui inspirera les surréalistes. Et bien... il n'y a pas plus de surréalisme dans ce travail que dans celui d'Aristophane.

C'est là une des dernières choses et peut être même la principale que j'aimerais souligner dans la démarche de cet artiste : il est inutile de se référer à quoi que ce soit, si ce n'est à ce que l'on voit. Toutes les initiatives plastiques de Baptiste engagent leur énergie en faveur de l'apparition d'images ou de sculptures qui semblent, par leur étrange harmonie, avoir toujours été telles qu'elles sont montrées et cela en vertu même des transformations dont elles ont fait l'objet.

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    Rougir ! 2007 Vidéo, 18 minutes, Collection Lambert en Avignon