Dejode & Lacombe
Dossier mis à jour — 14/05/2013

Une fiction politique

Une fiction politique
Par Daniel Bailly, 2001

À la question d'une représentativité possible des formes de l'art contemporain correspond la multiplicité de ses réponses esthétiques, lesquelles, après l'interdit classique du mélange des genres (interdit pesant à la fois sur les frontières internes à l'œuvre et à ses typologies, mais aussi sur toute tentative de débordement territorial d'une discipline sur une autre), ont plaidé en faveur d'une re-conduction des limites de l'œuvre d'art au-delà de ses frontières matérielles et culturelles.

Dans ce champ élargi de l'art contemporain, où la pratique interdisciplinaire et transversale opèrent un travail de déterritorialisation, Floating land, architecture flottante micro étatique apporte une extension scientifique aux stratégies territoriales de l'art, en mettant la science militaire et diplomatique à son service.

"Selon le stratège, l'armement ce n'est ni le soldat, ni les moyens employés, mais d'abord la position, la disposition et la direction des forces en présence." 1

Doter ainsi la problématique de l'armement d'une telle définition, c'est lui attribuer en premier lieu une position défensive de surveillance plutôt que les moyens d'attaque de sa mise en service offensive.

Floating land, dans son fonctionnement politique, adopte cette position armée sur la défensive en utilisant ses frontières naturelles, à la fois comme fonction stratégique et comme fiction diplomatique.

Si fiction diplomatique il y a, c'est précisément dans les limites objectives de l'île dans son insularité même qu'elle doit être trouvée, ne fonctionnant pas dans cette limitation autrement qu'une ambassade étrangère en tant qu'enceinte protégée, à l'intérieur de laquelle les lois nationales ne sont pas en vigueur.

L'île devient une sorte d'enclave avec des prérogatives d'immunité et d'inviolabilité, lesquelles demeurent symboliques en l'absence d'un statut juridique définitif.

Floating Land s'arroge ainsi le droit de créer du politique sur des terrains incertains (sur une incertitude juridique qui la place équivoquement dans une situation d'infraction), davantage qu'en suivant des lignes déterminées par avance qui la transformeraient d'emblée en une proposition d'obédience publique et publicitaire (c'est-à-dire promue au rang de satellite institutionnel de l'information). Elle est un devenir hypothétique de l'art contemporain comme exception culturelle détachée du sol de l'institution (son architecture en témoigne de manière pour le moins littérale), et c'est là sa part d'utopie proclamée qui veut établir dans l'ordre des choses son principe de réalité, parce que : "une utopie n'est pas une impossibilité mais une possibilité qui ne trouve pas de réalité" 2

  • — 1.

    Paul Virilio, L'espace critique, éd. Christian Bourgeois, 1984, n. p. 164

  • — 2.

    Robert Musil, L'homme sans qualité, Tome 1, éd. du Seuil, coll. Poche