Gaëlle Foray
Dossier mis à jour — 29/06/2022

Atelier

— « Un processus de collecte.

Je compose des photomontages et des volumes à partir de matériaux variés : photographies familiales, fossiles, pierres, gravas, bibelots. Je les ramasse dans la nature ou je les récupère dans les déchetteries, les décharges et les greniers. Il y a encore dix ans la collecte de photographies familiales était plutôt compliquée, je faisais face
à des réticences de la part des propriétaires de ces images. Désormais, comme l'analyse Sylvain Besson, responsable des collections au Musée Nicéphore Nièpce, l'avènement de la photographie de téléphone portable a largement participé à la transformation de notre rapport aux photos de
famille, à leur désacralisation. La collecte aujourd'hui est plus simple, les donateurs plus nombreux.

Je ramasse également des pierres, des cailloux, des minéraux et des fossiles.
C'est en accumulant ces matériaux dans mon atelier qu'ils ont intégré la composition de mon travail. Les éléments en volumes se sont hybridés avec les éléments photographiques en deux dimensions. Ces croisements mettent en jeu des espaces et des temporalités différents.

Les gravas, les bibelots, les objets de souvenir ou de décoration ont également intégré mon stock de matières premières. Ce sont des motifs que j'utilisais déjà sous forme de photographie et qui habitent désormais physiquement mes sculptures. Ce mode opératoire a des traits communs avec une forme d'anthropologie ou de sociologie dont la collecte d'artefacts serait le point central. Je les sélectionne pour leurs qualités plastiques, souvent sans savoir ce que je vais en faire à priori.

Puis par infusion, dans l'atelier, ils trouvent une destination. Ces matériaux ont une puissance signifiante : les gravas sont les déchets de nos habitats, ils nous racontent autant l'éphémérité de nos vies bâties

« en dur » que l'impact écologique de nos modes de production. Il y a quelque chose d'à la fois tragique et précieux à utiliser un morceau de carrelage de salle de bain qui a été le témoin quotidien d'une ou plusieurs vies. Les bibelots, quant à eux, racontent une époque, un goût du moment, la façon dont on investit les vacances ou dont on pare nos maisons.

Assembler et faire émerger des récits.

Mes assemblages fonctionnent par contraste : le plastique avec les fossiles, la céramique industrielle avec la pierre et les cristaux, les morceaux de photographies avec des gravas, les moulages bas de gamme avec la finesse des traces fossilisées. L'hybridation fait fonction de détonateur, d'impulsion pour faire apparaître les idées.

J'utilise également le changement d'échelle et je procède à des substitutions. Une pierre devient une montagne comme dans les suisekis chinois et japonais, des rostres de bélemnites fossilisés remplacent des arbres.

J'agrège et agence ces éléments pour faire émerger des récits. Je rejoue des scènes de la vie quotidienne, de l'enfance. J'interroge nos cultures familiales et leurs motifs : les repas de famille, les cérémonies, les sorties du dimanche, les rêves stéréotypés, les habitudes.

Plus largement je commente nos rapports à la nature, aux animaux, à l'alimentation, et la façon dont nous configurent les politiques territoriales, agricoles, touristiques, etc. À l'instar des Haukas dans le documentaire Les maîtres fous de Jean Rouch, qui rejouent l'oppression des colonisateurs pour la conjurer et la supporter, je reconstruis des mondes miniatures pour transcender le poids et les carcans de nos habitudes culturelles. »


Extrait du texte de présentation de Gaëlle Foray

© Adagp, Paris