Christelle Franc
Dossier mis à jour — 18/01/2024

Texte extrait du livret d'exposition Trait d'union

Texte extrait du livret d'exposition Trait d'union, Centre Régional d'Art Contemporain Languedoc-Roussillon, Sète, Nouvelle Vague Éditions, 2005

Les dessins de Christelle Franc sont des entrelacs de figures qu'elle désigne comme pictogrammes. Ce sont les contours, les lignes extrêmes des photographies et parfois des reproductions d'œuvres d'art qu'on retrouve dans ses livres. (On peut voir dans la vitrine du hall d'entrée un rouleau ouvert sur les 18 éléments de l'ensemble "autour du livre carré" présenté à l'étage). Elle réinvente ses propres règles, créant du lien entre ces différents éléments pour produire de nouvelles formes, des compositions sous forme de panneaux.

Christelle Franc fabrique des livres, objets uniques, fabriqués manuellement, ils sont la matière première de son dessein : réservoirs de données que j'utilise dans des processus de transformation afin d'élaborer des dispositif visibles dans leur globalité. Procédé qui n'est pas sans nous rappeler la valise verte de Marcel Duchamp. Chaque livre est une œuvre autonome, ce n'est pas un journal de bord, ni un carnet d'esquisses. Il est conçu à chaque fois dans une logique aléatoire conduite et guidée par les recherches et réflexions de l'artiste. Les sources et les liens sont autant littéraires (Francis Ponge, Mallarmé, Pasolini, J.Joyce...), iconographiques, qu'issus d'événements vécus par l'artiste (voyage). Christelle Franc nous emmène dans une sorte de labyrinthe de la pensée dans lequel elle tire son propre fil d'Ariane, procédant par analogie entre différentes données. Chaque livre est présenté dans une vitrine, ouvert à une page choisie par l'artiste.

"Ensemble de la création, livre 2003", par exemple, présente des listes de mots qui sont retranscrits manuellement. Chaque mot engendre la liste, il est choisi dans le dictionnaire en relation à l'œuvre en cours. Les mots retenus dans les définitions proposées sont les verbes, les adjectifs et les substantifs. Ils constituent les matériaux de départ à la conception d'une écriture poétique. Christelle Franc crée des relations entre les différentes formes expressives glanées au fil de ses lectures, promenades à travers les choses qu'elle rencontre, saisit, isole afin de les retrouver plus tard. Chaque panneau réalisé au fur et à mesure matérialise le temps du livre. La lisibilité est graduée par la multiplication de couches de papier plus ou moins transparent. Ici au centre d'art, sont présentés le troisième et le sixième panneau de la "Création", deuxième et quatrième temps de l'ensemble réalisé en 2003-2004. (Sept jours, sept temps).

''Autour du livre carré 2001-2002" est une œuvre constituée de 53 éléments qui potentiellement reconstituent le carré. Inspiré du mythe mésopotamien de l'épopée de Gilgamesh transcrit en écriture cunéiforme : Le bateau que tu construiras... La description du bateau qui réchappera du Déluge est en fait un cube. Alors les nombres prennent toute leur importance dans la mise en harmonie des formes ; par exemple la dimension du livre est de 27 sur 27 cm et il fait 180 pages. 180°, c'est un demi-cercle, c'est aussi un livre ouvert... L'équerre ne peut pas faire un carré, le compas ne peut pas faire un cercle. Les dimensions de chaque élément de l'œuvre présentée sont des multiples de 27. ''Autour du livre carré" apparaît comme une partition sur le mur. Christelle Franc procède par recouvrement de papiers choisis pour leur qualité de transparence. Elle met à jour certains mots préalablement manuscrits. Chacune des trois couches de papier est travaillée du premier au dernier élément en un seul mouvement. Il s'agit de ne pas perdre la tension créée, de maintenir l'obliquité et produire de la sorte une forme tendue, fixe : entre force et douceur, engendrer un mouvement qui occupe l'espace de percées, d'arabesques avec la possibilité de surgir en un point quelconque. Les mots finalement visibles racontent sur différents registres cette forme et sa genèse. S'étendant sur toute la longueur du mur sur trois niveaux, cette partition met en valeur une inscription tactile qui fait penser à des pages de braille ou encore à des rouleaux de partition pour orgue de barbarie. Les signes habituellement en volume dans ce type d'écriture sont ici en creux laissant les couches de papier successives produire de l'espace. Une fluidité engendre une lecture libre. Le visiteur peut se promener de gauche à droite dans ces dialogues de présence à présence avec les choses, les compositions sont mises à disposition et chacun est libre de les appréhender à son gré.

Pour le dernier ensemble présenté, "l'Expédition", un voyage en Egypte fut l'occasion de préciser encore certaines notions omniprésentes dans son activité artistique : signes, écriture, langage. Un nouveau livre, un nouveau voyage, aller d'étapes en étapes, passer par cette tour de Babel que l'on retrouve dans cet immeuble de construction récente dans lequel vit l'artiste. Comment voyagerait-on dans le temps et dans l'espace ? Cette forme fixe et animée simultanément par les interventions successives de l'artiste au fur et à mesure de l'Expédition, nous confronte à une présence rythmique et charnelle à la fois.