Éric Hurtado
Dossier mis à jour — 23/10/2012

ERIC HURTADO : LES VOYAGES IMMOBILES

ÉRIC HURTADO : LES VOYAGES IMMOBILES
Par Jean-Paul Gavard-Perret
Texte écrit pour l'exposition Dernière promenade / Les chemins de Jean-Jacques, Les Charmettes, Musée de Chambéry, 2011

Pour Éric Hurtado, "la photographie s'inscrit dans le dépassement. La vision devient ce gouffre de silence au cœur de l'image". C'est aussi précise-t-il "Un miroir tourné vers l'absence dans le crépuscule, pour accueillir le secret d'une présence, derrière les choses." Pas étonnant dès lors qu'il ait accepté - lorsqu'on lui a proposé - "d'écouter" les images de la maison et du jardin de Madame de Warens où Jean-Jacques Rousseau dit avoir vécu les moments les plus heureux de sa vie. Hurtado est donc à l'aise dans ce lieu de silence, à l'écart de Chambéry. Il a lui-même, face au lieu, fermé les yeux pour le voir comme il demande au contemplateur de ses images de le faire afin que l'on ne s'aperçoive pas de la différence. C'est pourtant elle que l'artiste crée. Et celui que "les forêts au bord de la nuit attendent toujours" sait une nouvelle fois atteindre la limite du visible et de l'indicible par ce qu'il faut bien nommer le mystère de sa création photographique et plastique.

D'un lieu "muséable" et dont l'intérieur n'est pas – il faut le reconnaître – le plus séduisant qui soit, l'artiste a créé, au milieu des sons des oiseaux, son habituelle déconstruction-construction. Grâce à ses photographies, le visiteur sent palpiter une présence par la lumière qu'Hurtado oriente et désoriente dans un centrage particulier. Ses photographies fragmentées sont des sources d'étonnement, de questionnement. Une nouvelle fois l'artiste peut donc rêver le temps. Aujourd'hui sur les pas du promeneur solitaire. Loin de la "photo reportage", ce travail plastique créé avec la confrontation de deux époques  et par l'entremises de  longues poses, place le spectateur face aux réalités invisibles puis découvertes par une lumière d'aube et/ou de crépuscule. La frontalité de la prise de vue et un cadrage serré présentent un végétal luxuriant si dense qu'il semble animé d'une lumière noire animée des reflets qui donnent au lieu une valeur plus fantastique que simplement mémorielle.

La lumière créée contribue à donner une matérialité picturale à la photographie. La couleur devenue matière offre de véritables "tableaux" qui n'ont rien d'illustration. L'œil s'attache plus aux formes et aux couleurs qu'à proprement parler ce qui est représenté. Le grand format immerge le spectateur dans des lieux empreints de mystère. L'ombre y est importante autant que la lumière. Par la première, les couleurs redonnent au jardin et à la maison sa force obscure. L'un et l'autre ne sont plus seulement des reliques ou de (beaux) vestiges. Hurtado, à la perspective ou la hiérarchie des plans, préfère une vision à la fois plus plate mais paradoxalement plus profonde. Les verts lumineux révèlent des surfaces tactiles et semblent des hommages implicites aux  maîtres flamands du clair-obscur. Dans une expérience purement picturale extrêmement forte, les traces de couleurs restent ce qu'il y a de plus puissant dans le passé du XVIIIe siècle comme dans le présent. C'est un mélange de crépuscule mêlé d'éclats sidéraux.