Éric Hurtado
Dossier mis à jour — 23/10/2012

Eric Hurtado / Voix (les Abattoirs)

Éric Hurtado / Voix (les Abattoirs), Ways (grotte du Mas d'Azil)
Entretien avec Pascal Pique, 2009

1 Quelles sensations et impressions ont pu produire sur vous la grotte et le contexte du Mas d'Azil, dès le premier contact. De même que la découverte des galeries ornées et des traces préhistoriques ? Comment avez-vous alors envisagé et conçu votre participation à l'exposition et en particulier dans la grotte ?

J'ai toujours ressenti les grottes comme des espaces oppressants, en fait des lieux que j'ai tendance à éviter... Tout ce qui à trait à la préhistoire également, c'est un domaine qui ne m'a jamais vraiment attiré (contrairement à ma passion pour la poétique médiévale par exemple), peut-être justement parce que cette période manque de mots, et que pour moi quelque chose, un site, un pays qui n'a pas été chanté par un poète a tendance à ne pas réellement exister... La préhistoire, une abstraction en quelque sorte, qui ne serait que la projection de l'imaginaire de notre civilisation, dans sa tentative de lui donner sens.

J'ai été immédiatement sidéré, dépassé, en pénétrant dans le grand tunnel de la grotte du Mas d'Azil. C'est un espace au delà de l'humain, produisant des sensations difficilement résumables, nous devons toujours limiter notre regard, notre écoute pour envisager un tel lieu... un lieu qui me subjugue mais que j'ai tendance à fuir... pour le faire vivre en moi, plus tard, le faire grandir dans ma vision, comme une rumeur dans ma mémoire. Pourrait-on en parler d'ailleurs comme d'un « lieu de mémoire » ? C'est à dire comme d'un site dont l'existence réelle ne  se situerait que dans la mémoire... c'est du moins ce que j'ai essayé d'en faire, de le transposer, non dans ma conscience, mais de lui donner la possibilité de s'accomplir à travers le miroir de ma conscience, de le rendre conscient.

Refusant donc dans un premier temps de visiter les galeries ornées, par une sorte de nihilisme actif, j'ai choisi de concentrer mon travail photographique sur la zone la plus obscure du cours de l'Arize, une sorte d'espace de non-visibilité, pour laisser justement le plus d'espace possible à ma visibilité, à la projection de mon possible, de mon image mentale. J'ai voulu voir comme on écoute, je suis resté des heures au bord de l'ombre de cette rivière, non à photographier, mais à m'interroger, pourquoi dois-je faire cette image ? Est-ce vraiment nécessaire ? Cette série photographique n'est que la mise en lumière de ces interrogations, c'est la réponse en écho de la grotte à mon écoute.

Mes deux installations dans les galeries sont venues plus tard, elles s'intitulent « Ways », des chemins bien sûr, qui mènent vers un lieu qui n'est justement pas physiquement la grotte, mais un dépassement de celle-ci, un site mental  et onirique. Le titre répond d'ailleurs à celui de ma série photographique « Voix », dont le travail développe le même enjeu avec l'espace.

J'ai désiré confronter physiquement deux esthétiques opposées, la modernité optique du cube en miroirs avec le rêve baroque de l'installation à la méridienne. La posture des spectateurs est également inverse, une immersion lumineuse et sonore violente dans le cube, (pour une fragmentation et une projection de sa propre image sur les parois de la galerie, produisant une sorte de fusion initiatique de l'être et de la grotte), avec la contemplation frontale de cette « cristallisation de rêve », produisant ce sentiment double que l'on a souvent face à des œuvres surréalistes, celui de participer de l'intérieur et à la fois d'être exclu de l'œuvre...
Le fait de présenter une double installation à caractère contradictoire sous un même titre, c'est justement l'intention de dépasser l'approche plastique, de se mettre hors-jeu... en fait de situer le propos ailleurs, au delà du « style », dans l'éclat d'une poétique pure.


2 Comment voyez-vous l'articulation entre votre proposition dans la grotte et celle aux Abattoirs ?

Je répond à la même proposition par des moyens différents. Ma série photographique, comme je l'ai dit, pose un questionnement sur l'existence de la réalité comme une entité séparée de notre conscience. C'est essentiellement un travail sur le temps, sur l'empreinte de l'espace comme une trace du temps. Le protocole que je m'étais fixé pour la réalisation de ces photographies témoigne aussi d'ailleurs de ce rapport cyclique au temps. Je me rendais tous les soirs à pied du village à la grotte, à l'heure du crépuscule, et j'écoutais la rivière tout au long de la route alors que la lumière déclinait, avant d'entrer dans cette bouche sombre qui m'attendait. C'est comme si les photos se faisaient en fait durant le temps de cette marche... tout simplement parce que j'y pensais... la prise de vue ne venant plus tard, que pour imprimer physiquement les images. J'ai toujours pensé que la photographie était une question d'intention, plus celle-ci est forte est plus l'image est forte. Je crois à un retournement complet des valeurs relatives au concept de réalité, la photographie est pour moi un moyen d'y arriver.

J'ai installé aux Abattoirs mes photographies à l'intérieur d'une cimaise circulaire, qui évoque évidemment l'espace de la grotte, et qui permet aussi à mon travail de ne pas s'offrir au premier regard. Le visiteur doit d'abord tourner autour de ce monolithe blanc avant de pénétrer dans un espace baigné d'une lumière sans ombre. Je considère ces images comme l'écho de mon regard, cette disposition en cercle permet d'établir une temporalité différente, non narrative, dans la vision de celles-ci. Mes tirages sont d'ailleurs réalisés sur des papiers brillants qui intensifient le côté miroir noir et la difficile visibilité des images. Celles-ci se reflètent les unes dans les autres, et il est également impossible de ne pas se voir les regarder, de s'évacuer de l'image en tant que regardeur, l'œil doit choisir... soi ou le réel... je pose toujours la même question de la prise de vue à la vision des images.

Cette chambre d'échos visuels se retrouve bien sur dans ma boîte en miroirs installée dans la grotte. J'ai choisi l'espace restreint de la galerie des silex comme un facteur permettant de dynamiser cette contradiction entre l'infini des reflets et l'étroitesse de la galerie. L'image du visiteur pénétrant dans la structure est fragmentée, pulvérisée pour traverser les miroirs et se projeter comme une ombre lumineuse sur les parois de la grotte, rejoignant dans ce geste l'art pariétal.

Peut-on parler d'initiation ? C'est certainement une expérience d'ordre extatique, et peut-être je l'espère le moment physique d'une perception, celle de l'unique par le multiple, une vision de l'être dans son retrait.


3 Que vous a suggéré le titre de l'exposition « DreamTime, grottes, art contemporain et Transhistoire » ?

Une idée du passage.
Walter Benjamin avait écrit « Le livre des passages », décrivant les passages parisiens comme les lieux mêmes de l'imaginaire.
La grotte comme  passage ? De l'ici vers l'au-delà ? Mais quel ici pour quel au-delà ?

De moi au miroir c'est moi-même, derrière le miroir c'est le réel. Il suffit donc de retourner le miroir.