Karim Kal
Dossier mis à jour — 23/04/2020

Entretien avec Pascal Beausse

Entretien avec Pascal Beausse
Pour le catalogue de l'exposition Algérie en Création, Centre d'art Le Rectangle, Lyon, 2003

Pascal Beausse : Avec ces images d'Alger, au titre de carte postale, dis-tu le rapport que tu entretiens avec cette ville par ton histoire personnelle et ton identité métissée 

Karim Kal : Mon identité y joue probablement quelque chose, mais je crois qu'au-delà de ça, comme beaucoup de gens, je suis tout à fait surpris et choqué de constater que nous vivons une période où les peuples s'éloignent. En allant à Alger, j'ai été frappé par l'ouverture et la force des habitants, qui traversaient à l'époque une guerre ; j'ai été frappé par leur calme et leur sérénité malgré tout. Et tous ces éléments étaient contenus dans le paysage d'Alger : une ouverture sur l'extérieur, une envie de partir, de découvrir, un vrai regard sur le reste du monde. Des choses qui n'occultaient évidemment pas la réalité de leur vie sur place, mais qui étaient à des années-lumière de toutes les représentations relatives à l'Algérie auxquelles j'avais pu être confronté en France.

Ce qui te conduit à nous présenter des images de l'horizon marin, depuis le centre de la ville. Tu adoptes ainsi le point de vue des algérois sur la Méditerranée et au-delà ?

En faisant ces photographies, j'ai cherché à prendre un point de vue populaire, à montrer des choses sur lesquelles le regard des gens qui vivent là se porte plusieurs fois par jour, et non pas prendre un point de vue atypique ou particulier. Et j'ai tenté malgré tout d'y introduire certaines pistes de lecture qui impliquaient aussi les difficultés de la vie là-bas, sans les occulter. Sans masquer la difficulté de la situation, je voulais remettre les choses à leur place, rééquilibrer par mes images la représentation du vécu des algérois.

Et si tu emploies la forme du paysage urbain, ce qui est dominant dans ces images marquées par une homogénéité chromatique, ce qui les construit principalement, même si la ville est bien présente au premier plan, c'est toute cette immensité de bleu marin et de bleu du ciel. Qu'est-ce qui te conduit à montrer cette immensité vers laquelle est tournée la ville ?

Je n'ai jamais vécu en bord de mer, je ne sais pas si c'est caractéristique de toutes les villes de bord de mer, mais j'ai ressenti cette présente très forte à Alger, vraiment comme une porte. Peut-être parce que les gens sur place ont besoin d'une échappatoire, mais aussi d'une source d'équilibre. Et ce bleu y fait beaucoup. Et la ligne d'horizon équilibre les choses dans ce sens. Ensuite, d'une image à l'autre, les points de vue sont peut-être divergents, même s'ils vont tous dans la même direction. J'ai été surpris par tous ces bateaux dans la baie d'Alger, qui attendent une place au port pour pouvoir délivrer leurs marchandises. J'ai pensé que mettre en scène, au téléobjectif, ces bateaux suggérait l'ambiguïté d'une ville en guerre ou d'une ville avec des exigences commerciales et des besoins. J'étais confronté quasiment à une scène de blocus militaire qui était en fait un blocus commercial. J'ai pensé que cette image pouvait révéler beaucoup d'ambiguïtés. C'est là que je situe mes images clairement en réaction avec la production visuelle sur l'Algérie à laquelle j'ai pu avoir accès avant de pouvoir y aller. Quand j'y ai été réellement confronté, j'ai vraiment été frappé de faire le constat que j'avais une conscience limitée de ce pays et de sa situation.

Tu nous proposes donc une sorte de contre-représentation d'une ville. Un autre type d'information. Peux-tu évoquer le quartier depuis lequel tu fais ces images ?

Bab El Oued est le quartier populaire d'Alger. La partie basse de la composition met en scène deux ruelles qui ont été le théâtre des drames de 2001, les inondations. On voit d'ailleurs sur les images des ouvriers encore occupés à dégager le front de mer. Je voulais que ces rues soient présentes.

Parce que se cristallise dans ce quartier quelque chose de l'histoire récente et plus ancienne de la ville ?

Exactement. C'est autant le point de départ de beaucoup d'algériens vers l'ailleurs, que le théâtre de drames récents, mais aussi un point de vue possible sur la réalité sociale de l'Algérie. Ce quartier cristallise beaucoup de choses de l'histoire contemporaine du pays. Historiquement, à l'époque de l'occupation française, c'était l'un des points principaux de métissage des populations musulmanes, chrétiennes et juives qui étaient alors présentes en Algérie. C'est un endroit où est apparue une vraie génération métissée d'enfants qui parlaient autant l'Espagnol que le Français et l'Arabe, de musulmans qui jouaient au foot avec des Chrétiens et des Juifs.