Jérémy Liron
Dossier mis à jour — 05/06/2014

Éditions

Écrits de l'artiste (extrait)
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La mer en contrebas tape contre la digue, 2014
Éditions La Nerthe/Eclats
Ce texte a été écrit à l'occasion de la résidence Éclats à Caromb, entre février et juillet 2013. Il a accompagné la naissance de plusieurs créations spécialement initiéEs à l'invitation de l'association Éclats autour de l'idée d'hétérotopie.
 
(extrait) Les choses ne s'adressent jamais à toi, tu sais bien que c'est toi qui entoure des mots tout autour, qui les emballe de mots, qui essaie d'y accrocher tes mots en réclamant d'eux une parole qu'ils ne peuvent pas te donner. Tu te démènes avec ça. C'est cette folie qui fait tes phrases. Tu ne peux écrire que des choses désespérées.

Dans l'évidence même, le monde vacille et fait vertige. Imagine le film que donnerait à voir quelqu'un qui tournerait sur lui-même, une caméra dans les mains.
Plusieurs fois le même rêve. Avancer sur une route bordée d'arbres qui fait comme un tunnel. Et continuellement, sans que rien ne se fixe en un objet défini, tout étant raclé par ce mouvement dans lequel le paysage défile. Ne plus fabriquer d'objet mais se rendre à ce « bougé » qui défie l'énonciation.
Le train, la route, la maison, le grande table et la terrasse par la fenêtre et les collines par la terrasse et la ville autour. La route à nouveau, le train à nouveau, l'image de la ville.
Revenir, c'est amorcer une parole, une histoire. [...]

La mer en contrebas tape contre la digue
Captation sonore de la conversation entre Jérémy Liron, Léa Bismuth et Cyrille Noirjean à l'occasion de la sortie de l'édition.
URDLA, juillet 2014, Villeurbanne, 1h21
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La Traversée, 2012
Éditions publie.net, collection temps réel
58 pages 

(extrait) Est-ce les images qui font le paysage ? [...]

On peut se perdre dans un paysage. On peut, à regarder les routes, s'absorber dans le vague de leurs extrémités et rejoindre ce qui s'efface tout au bout dans l'informulable. Qu'adviendrait-il si on ne gardait un pied arrimé à l'ici, et qui nous retient, et auquel on se hisse pour se retrouver ? Qu'arriverait-il si on lâchait prise, si on se laissait dériver lentement dans ces nuits qui se creusent au bout de nos regards ? N'est-ce pas devenir fou que se jeter dans son propre regard jusqu'à s'y perdre ? « Si les images ont des bords c'est pour nous garder saufs. »
Parfois des routes, échappées du regard, des constructions isolées, des grands bâtiments qui ressemblent à des scieries. Qu'on regarde comme on se déferait de tout, à croire épuiser toutes les apparences des choses et traverser le regard même. Les images qui, à revenir en surnombre les unes par dessus les autres, ajoutent des jours dans les jours et multiplient les nuits en une même nuit. Chaque fois tournent sur elles-mêmes comme on passe outre. L'étendue est peut-être une autre façon de dire le temps qui boucle. Le haut du rideau, ses crochets, une parcelle de plafond avec la trappe de ventilation éclairés à intervalles réguliers et replongés dans l'obscurité. L'œil qui se ferme. Chaque instant lève le souvenir d'un autre, se diffracte et se perd. Après c'est pareil qu'à sortir d'un cinéma : trouver la nuit qu'on n'attendait pas, brutalement, la fiction ayant masqué la montée progressive du soir. Le corps entier comme l'œil à devoir s'accorder lentement. Plus bien savoir. [...]

Dans un enfant qui joue il croit reconnaître ses propres traits et dans ses traits, ceux d'une arrière-tante qu'il n'a pas connue mais dont il a vu des photos avec les bords ondulés dans un vieil album. Il se dit que les choses en appellent d'autres en cascade, comme un écho. « Les choses fuient dans les échos qu'elles produisent. » Il se dit que les choses comme les êtres sont derrière les visages qu'elles tendent. Et qu'est-ce qu'un visage sinon mystère tendu à soi ? [...]

Il ne sait plus bien s'il est encore dans cette ville neigeuse ou s'il voyage distraitement en lui à travers des souvenirs. Ou la ville en lui voyage entourée de forêts, avec des lacs derrière des haies. De ces lacs où on jette des cailloux. [...]

N'arrive-t-on jamais quelque part ? Le monde se déplace avec nous. On ne rattrape jamais sa fuite, ne fait que l'accompagner. [...]
L'être & le passage, 2012
Éditions La Termitière 

(extrait) Chaque chose est prise dans une double temporalité. L'une à part nous, ralliée à l'immensité dans laquelle naviguent les astres, nous échappe. L'autre se mesure à l'expérience que nous en avons, à notre échelle humaine, en regard de notre durée propre. L'apparente immobilité du monde, son allure immuable, s'accorde de mouvements incessants et contradictoires qui le font paraître en chaque instant dissemblable, précaire, passager, toujours à venir, de sorte qu'il se révèle être, comme l'écrivit Montaigne aux alentours de 1579, « une branloire pérenne ». La constance même que l'on croit pouvoir prêter au paysage qui s'étale sereinement sous nos yeux ne dit que l'échelle plus lente des mouvements qui l'ont façonné et le façonnent encore, elle « n'est autre chose qu'un branle plus languissant ». Par dessus ces mouvements viennent encore nos mouvements propres, le fait qu'autant que changent les choses, change le regard que l'on pose sur elle. Car nous nous succédons nous même au cours de notre vie, passant sans discontinuer d'un état à l'autre, pour ne pas dire d'un être à l'autre : celui que nous étions avant nous devenant pour bonne part étranger tandis que celui que nous serons nous est encore inconcevable. Changent les circonstances et les considérations. Rien n'est stable et assuré, rien qui ne se laisse lire, immobile, en soi et en le monde. Rien, sinon la mort peut-être, qui annule tout, n'est définitif. Nos vies mêmes sont dessinées par de « muables accidents », fruits d'« imaginations irrésolues », contradictoires. On n'est jamais à savoir si l'on doit s'accorder aux tumultes du monde, en adopter la confusion, en rejoindre l'agitation et les passades ou y opposer le regard stable, intemporel et glacé de celui qui passe outre. Si l'on doit peindre « l'être » ou « le passage ». [...]
En l'image le monde, 2011
Éditions La Termitière, Postface de Philippe Blanchon

(extrait) Alors, tournant la tête, je voyais surgir les images – bientôt elles se dédoubleraient lentement – et je sentais le temps se replier en moi.

On prend des photos pour se souvenir, c'est-à-dire avec l'illusion d'arrêter le temps ou de le capturer, d'interrompre les mouvements du monde. On prend des photos comme des notes. D'autres, on les prend avec une façon de répondre à l'invitation du monde, parce qu'un arrangement particulier des choses sous le regard, parce que des couleurs, une lumière – pour faire une belle image. Je ne sais pas ce que je cherchais, moi, à parcourir une petite ville du nord, à marcher dans des rues vides. Je prenais toutes sortes de photos. Pour pouvoir revoir ce que j'avais vu, ou, à la manière du photographe dans Blow up d'Antonioni, voir ce que j'avais capturé sans voir, à mon insu. On ne sait jamais vers quelle rencontre on va. Et cette photo je l'avais prise en pensant : pour Maude. [...]
Chaque œuvre cherche après ce qui la fonde, 2010
Sur Philippe Agostini, Introduction d'Arnaud Maïsetti
Éditions publie.net, collection portfolio
47 pages

(extrait) Il ne s'agit donc pas de peindre sur le motif, mais de peindre d'après une image, des images. Et même d'après leur souvenir, ce qui équivaut à opérer par éloignement volontaire de l'origine afin peut-être qu'entre elle et le tableau puissent s'inviter, comme dans un rêve, tous les caprices et toutes les combinaisons possibles, tous les rapprochements et tous les mélanges ; et que ça dérive au-delà de la simple référence. [...]

Mais dans cette errance, le travail fait preuve d'une certaine obsession qui est peut-être un point d'accroche, une permanence salutaire à laquelle se maintenir. Cette permanence c'est une semblable architecture de la toile depuis le motif jusque dans ce jeu de superposition ou d'évitement des touches, ces réserves et percées dans le fond, ces modulations, cette infinie richesse dans la répétition du même. [...]

Faire un tableau, y faire tenir une figure c'est comme retenir compact ce qui se dissolverait sans ça dans l'infini du monde. Donc ce besoin de marquer des points d'encrage, comme dans une progression en montagne ou comme l'on marque sur une carte le chemin parcouru, calcule un cap... [...]
L'humble usage des objets, 2010
Éditions Nuit Myrtide 

(extrait) Nous voyions ce qui nous retenait, même si on n'était pas arrivés à mieux dire que bricolages pour désigner cette vague façon de l'art. Moi j'avais été intrigué de visiter plusieurs expositions où je retrouvais ces invariants, une même physionomie. Les matériaux pauvres d'abord, et aussi cette manière de disposer ces rebuts, tout à la fois hâtive et sommaire, et précieuse souvent, en une installation énigmatique. Presque rien : des choses çà et là comme une phrase détruite, mais une phrase encore, et dont le sens était béant. [...]
Le livre l'immeuble le tableau, 2008
Éditions publie.net, collection critique & essai
Introduction de François Bon
 
(extrait) Le tableau est alors un suspens pensif du réel, le vent qui y souffle a quelque chose à voir avec le temps (je dis, mes tableaux sont dénués des détails et des hommes, d'anecdotes, comme nettoyés par un grand vent) comme une longue prise de vue dépeuple les paysages – à peine resterait-il des fantômes. Et trouve de la beauté dans cette fatalité.Il faut un regard franc affronté très simplement aux choses. [...]