Emmanuel Louisgrand
Dossier mis à jour — 15/02/2017

Texte de Gilles Clément

Texte de Gilles Clément, janvier 2011
Pour Emmanuel Louisgrand, l'herbe tondue et les arbres alignés sont le décor impersonnel des espaces prétendus "verts". À dire vrai, il faut bien de l'énergie pour maintenir, tout au long de l'année, ce décor figé au nom d'une certaine "propreté" comme si la nature, de toute force, devait se plier aux règles d'une esthétique glaciale.

Mais il suffit d'un peu d'inattention à l'entretien forcené et bruyant des pelouses, au soufflage des feuilles, aux traitements intempestifs pour que la vie, toujours en quête d'invention, invite la diversité des plantes et des animaux à venir animer l'espace morne de l'herbe tondue. À Caen, depuis longtemps, on sait inviter la nature à partager l'espace de la ville avec ceux qui l'habitent, on sait transformer cette inattention calculée en regard amical pour que s'installe un "jardin". Un jardin gratuit mais généreux, auquel chacun, s'il le désire, peut prendre part en découvrant, à l'occasion, la richesse des plantes venues par elles-mêmes mais aussi en se découvrant un subit talent de jardinier.

Bien sûr on peut ajouter aux plantes portées par le vent et les oiseaux des espèces que l'on aimerait voir se développer, peut-être même des plantes capables de donner des fruits et des légumes. Pourquoi pas des choux, des potirons ou des carottes ; comment viendraient le persil, la coriandre et le thym ? On sait déjà que l'herbe si violemment et si régulièrement réduite à un tapis sans âme peut se transformer en jardin de providence, pourrait-il devenir un îlot d'abondance ?

Comment passe-t'on du rêve à la réalité et comment par la suite, au cas où la magie opère, imagine-t'on la récolte ? À qui appartiennent ces fruits, ces fleurs et ces légumes que donne la nature ?

En tant qu'intercesseur, acteur mais surtout artiste, Emmanuel Louisgrand met en œuvre le mécanisme qui permet de transformer le décor inerte en un lieu de vie. Avant tout il fait appel aux humains de bonne volonté et ceux-ci, à leur étonnement, se découvrent jardiniers. Mais ils se découvrent aussi entre eux comme si ce nouveau territoire – le jardin - les autorisait enfin à s'adresser des regards confiants et des paroles amies.

L'artiste ne se contente pas de construire l'espace et d'inviter les habitants à participer au jeu. Il met en place – par le jardin et ses contraintes saisonnières – une expérience qui se déroule dans le temps. Un graine mise en terre est une promesse à venir. Il faut compter avec les aléas, les formidables ou minuscules désastres, mais aussi et surtout avec les inventions de la nature, les réussites inattendues, les cueillettes imprévues. Le jardin se présente comme un territoire de recherche où le plus modeste des jardiniers devient le plus sérieux des chercheurs, le plus près des réalités de l'expérience puisque les mains dans la terre. Au fil du temps (au fil de l'expérience) se construit un protocole du jardinage propre au lieu, valable ici et non ailleurs. Il est fait des universels du jardinage auxquels viennent s'ajouter les singularités locales, les tours de main, les plantes absolument heureuses ici, parce que le vent, la lumière, l'exposition, leur sont favorables. Peut-être aussi parce que la configuration des arbres alentours, les échanges muets avec le reste du vivant leur convient tout simplement.

Quant aux récoltes, aux trésors de l'enclos à la charge maintenant d'une petite assemblée, il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Les fleurs, les fruits, les légumes ne sont rien d'autre qu'une manifestation organisée du bien commun et le jardin rien d'autre qu'une ingénieuse scénographie de ce bien commun : un présentoir. Aussi les jardiniers – devenus magiciens – sauront sans aucun doute tirer profit de leur travail ; ils sauront le partager comme ils partagent leur force avec les forces de la nature et celle, dont on parle peu mais qui assemble toutes les énergies : l'espoir.