Slimane Raïs
Dossier mis à jour — 08/09/2016

Le jardin des délices

ouvrage jardin des delices

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Le jardin des délices
Textes de Marielle Belleville et Anaud Stinès
Ed. Rurart, 2006, 60 pages
Mélusine, l'artiste et le politique
Introduction de Marielle Belleville

Un beau jour d'été, la fée Mélusine rencontra Raymondin, qui venait de tuer le comte de Poitiers lors d'une partie de chasse. Il en tomba amoureux et la demanda en mariage. La fée accepta de l'épouser et lui fit promettre de ne jamais chercher à la voir le samedi. Durant la première année de leur mariage, Mélusine construisit de nombreuses places fortes qui assurèrent la prospérité de la famille Lusignan. Une seule nuit lui suffisait pour édifier les plus imposantes citadelles, des églises au milieu des champs, et même des villes comme celle de Lusignan. Un samedi pourtant, poussé par la jalousie de son frère, Raymondin oublia sa promesse. Avec son épée, il fit un trou dans la porte de la chambre de sa femme : il vit Mélusine qui se baignait, se coiffait les cheveux et frappait l'eau de sa longue queue de serpent. Trahie, Mélusine s'enfuit aussitôt par la fenêtre en poussant un cri déchirant. Son mari ne la revit plus jamais sous forme humaine.


Bien plus tard un espace d'art contemporain est né en Pays Mélusin. Et bien plus tard encore, il a passé une commande de création à Slimane Raïs. Slimane Raïs dit qu'un artiste est seul, très seul, avec son travail. Qu'avant d'avoir tiré le fil d'une forme esthétique, de le dérouler, d'en finir avec toutes celles qui ne seront pas exploitées, lui, ne peut être que seul. Alors lorsqu'il arrive dans un lieu, sur un territoire, il le parcourt. Marche, écoute, regarde. Et va peupler sa solitude de vieilles histoires locales comme de l'anonymat bruissant des lieux publics et des cafés dans un coin duquel il se pose avec un carnet et réfléchit.


Et en se penchant sur les reflets dans son calepin de la vieille légende, il a vu briller les écailles de Mélusine. Il dit qu'il aime les légendes, Slimane. Les légendes, les contes, les fables. Pour cette façon qu'elles ont de dire des vérités sans y prétendre, de lever un coin de voile sur les énigmes humaines en laissant tout entier le mystère. Ou d'en rajouter.  Le bonheur suspendu à l'interdiction d'un voir... d'un savoir... La tentation si humaine de le transgresser... Pulsion scopique et épistémologique... L'incapacité à se contenter du bonheur... La légende de Mélusine interpelle l'artiste. Le fait voyager d'un jardin à un autre... De l'Eden, vallée du pêché originel au Jardin des délices, le terrible triptyque de Jérôme Bosch, auquel il a emprunté son titre et voilà, il lance son appel : vous avez commis une faute que vous n'avez jamais pu oublier...

 

[...] Je ne suis pas Mélusine. Je suis juste celle qui prend le train pour aller aiguiller et recueillir les mots d'un dialogue, d'un entretien entre un artiste et un homme politique. Et la politique n'a pas grand-chose à voir avec la fée, mi-femme, mi serpent, ni avec Le jardin des délices en particulier. Mais parce qu'il l'avait déjà fait avec un philosophe, et un sociologue, Rurart a proposé à Slimane Raïs de dialoguer avec un homme politique. Mais peut-être Mélusine en ce qu'elle a de créature hybride, le corps entre deux mondes, a-t-elle veillé sur tout cet entretien.

Politique, Jean-Jacques Gleizal, élu local, adjoint à l'action internationale des collectivités locales de Grenoble, l'est sans conteste. Mais en adepte de la « déviance partielle », un concept de Lucien Sfez [1] qui lui est cher et qu'il a élargi, il avait déjà un pied dans le monde de l'art puisqu'il est collectionneur d'art contemporain et d'art africain et qu'il est l'auteur d'un livre sur les liens même de l'art et du politique [2]. Avec lui, on s'est mis à rêver de double contamination, de « double-capture », de « noces entre deux règnes »...

Art et politique, le couple a donné lieu ces dernières années à des ouvrages passionnants. Le lecteur intéressé par la question y trouvera la matière d'une réflexion approfondie. Ici, il n'est question que du dialogue entre deux hommes et deux pratiques, deux manières parfois différentes et parfois très proches, parfois conflictuelles et parfois complices, d'agir dans le monde.
 
[1] Lucien Sfez, La décision, PUF, coll. Que sais-je ?, 4ème édition, 2004
[2] L'art et le politique.