Slimane Raïs
Dossier mis à jour — 08/09/2016

Trésor public

Trésor public, 2005
Installation in-situ, Entremont
Le patrimoine culturel d'Entremont est riche de ses reliques, un trésor religieux précieusement gardé dans l'enceinte de l'Abbaye et qui, à travers des siècles, a généré de nombreuses anecdotes et légendes ayant fait sa renommée et son mystère. Inspiré de ce patrimoine religieux, l'artiste propose aux habitants de lui confier des souvenirs d'objets perdus ou trouvés et d'en indiquer l'histoire supposée ou réelle. Cette accumulation de différents récits devient la base d'un nouveau "reliquaire" appelé Trésor public. L'artiste crée ensuite au sein du kiosque du village un nouvel édifice éphémère au sein duquel une "sculpture-tiroir" hexagonale évoque vingt-quatre de ces objets, investis chacun de leur histoire intime.
Extraits des récits
Je retrouve au fond du tiroir un papier jauni... par le temps qui passe. Un tract du parti socialiste écrit par mon père en 1978. Un papier qui pour moi représente une époque, peut être même une autre vie, un temps où j'avais une famille unie et où l'insouciance était le maître mot. Ce papier représente pour moi la fierté, l'amour..., la mort. Que de souvenirs que je veux garder en mémoire et graver dans un coin de ma tête, mais qui s'effacent car le temps passe. Toucher ce tract ravive tant d'amour que j'ai perdu de ce père que j'ai tant aimé et qui m'a appris l'engagement, la foi, le combat (même inutile).
Merci petit bout de papier jauni.

Je me rappelle de cette petite couverture que j'ai retrouvée cet été au fond d'une vieille valise. Cette couverture rose d'enfant m'avait été offerte le jour de ma naissance par ma grand-mère maternelle qui est décédé deux ans plus tard. Cependant je garde des souvenirs d'elle, de cette chère grand-mère que j'aurais bien voulu plus connaître et qui me chérissait énormément.
Cette couverture me rappelle mon enfance. Elle me tenait bien chaud, je prenais mon biberon entourée d'elle, cette couverture me suivait partout où j'allais. Aujourd'hui, je la garde bien soigneusement, j'aime sa couleur rose, couleur de douceur, de bonbon, de bonheur et surtout parce qu'elle est le seul souvenir qui me rattache à cette enfance.

Je porte des lunettes depuis toute petite. Et, il y a peu, j'ai retrouvé ma première paire de lunettes ; une paire de lunettes rondes à la monture rose. Je me suis imaginée les portant, une vingtaine d'années en arrière, après les avoir soigneusement choisies chez l'opticien avec ma maman. Depuis, j'en ai eu d'autres, plus ou moins rondes, plus ou moins colorées, mais celles-ci ne sont pas des lunettes banales, elles me rappellent mon enfance.

J'ai perdu une chevalière en plaqué-or en effectuant les fenaisons pour mes parents agriculteurs, en 1962. Cette bague nous avait été offerte par mon père, pour notre communion et je ne l'ai eue que pendant deux mois environs. Mais elle représentait un cadeau de grande valeur car mes parents n'étaient pas riches et cependant avaient voulu nous offrir ce bijou à ma sœur et moi et hélas dans un tas de foin elle s'était dégagée de mon doigt. Ceci remonte à quarante et un ans maintenant, mais j'ai toujours un sentiment de tristesse en pensant à cette période de ma vie et le sacrifice fait par mon père pour ce cadeau de grande valeur à cette époque.
A chaque fois que je passe dans ce pré, je me souviens de cela. Les temps ont beaucoup changé depuis...

Lors d'un séjour en Guyane, j'ai pu aller de nuit sur la plage des Hottes, assister à la ponte des tortues luth. Sensation de début du monde à la vue de ces énormes bêtes, surtout des eaux de l'atlantique. Sensation d'immensité du monde à l'idée de l'énorme distance nous séparant de l'europe. Le lendemain dans la matinée, promenade sur la même plage. Un débris de bois usé par le temps, l'eau et le sable, attire mon regard. Il a la forme d'une tortue ! forme née de l'effet du temps ! Nul artiste n'a participé à sa création.
Depuis 1981, cette forme ne m'a pas quitté... Elle représente exactement ce que je crois que nous sommes : créés par le temps, l'eau et le sable, mélangés à une dose de hasard. Fantastique hasard qui a fait qu'un matin, il y a plus de vingt ans, je passais par là et posais mon regard sur cet extraordinaire morceau de bois.

C'était le matin du 26 janvier 2005, assise sur ma chaise, un peu fatiguée de la veille, je me suis aperçue que j'avais perdu hier. Il était de taille moyenne, mais plutôt dense et plein à craquer, il m'a échappé des doigts, sans que je m'en aperçoive. Le lendemain je l'ai heureusement retrouvé.

La tempête de 1990-91 avait déraciné des arbres dans ma propriété. Ayant tous les outils pour travailler le bois, je suis allé tronçonner mes deux, trois arbres, avec la hache pour ébrancher et le pic (en patois : sapi) pour le dégager. Et comme j'avais du travail pour quelques jour, je laissais mes outils sur place... Puis la pluie et la neige ont interrompu ma besogne ; pas grave, je continuerai au printemps. La neige étant restée sur le bois, je suis allé chercher mes outils pour les ranger afin qu'ils ne s'abîment pas. Grosse déception, je n'ai pas retrouvé ma hache et mon pic, ils n'étaient pas avec la tronçonneuse. J'ai tourné en rond, regardé à droite, à gauche..., puis je suis rentré à la maison grincheux.
Un an après, je vais dans ma forêt où j'ai coupé du bois, peut être y aurait-il des champignons... J'arrive près d'un gros arbre, oh ! oh ! j'y crois pas, ma hache et mon pic dressés là pour que les manches ne pourrissent pas. J'avais dû les mettre là pour pas que les billes de bois ne les cassent en passant dessus.
Arrivé à la maison, j'ai dis à mon épouse : Je suis heureux, j'ai gagné le gros lot. Quelle aventure ! me dit elle, je n'ai jamais cru qu'un ancien bûcheron perdrait ses outils.