Georges Rey
Dossier mis à jour — 10/11/2021

Propos d'un autre temps

Propos d'un autre temps
Interview de Georges Rey, Revue Melba n°2, janvier-février 1977

Tes conditions de travail ?
- je filme quand j'ai une caméra à côté de moi.
Filmer à Lyon c'est être au cœur de la réalité, ailleurs c'est l'isolement.

Ton cinéma ?
- mon cinéma ne veut rien dire, ne dit rien, il montre.
Être sage comme les sages de Charles Yves : ne rien voir, ne rien entendre, ne rien savoir.

Ton utilisation du terme « écologique » ?
- l'écologie — un éternel retour indifférent — des cycles naturels se succèdent pour aboutir à d'autres cycles, même si la nature est une seconde nature (Le monde le plus beau est comme un tas d'ordures répandues au hasard).

Les rapports entre peinture/musique/cinéma ?
- la peinture, la musique, le cinéma ; l'architecture pour moi c'est la même chose — des formes — formes lisibles — formes libres — une pensée et même la réalité... Leur rapport : tout est image (mots à mélanger).

Ta référence à Warhol ?
- Warhol connais pas.

Tes méthodes d'élaboration et de travail ?
- je n'ai aucune méthode. L'image naît d'elle-même en concordance avec le réel, la pensée et l'imaginaire (peut-être réel). Elle n'est filmée que lorsqu'une nécessité, qui m'échappe, me meut comme par magnétisme. À ce moment là tout quotidien est accepté, tout tel devient image.
Être libre et disponible pour vivre toutes les énergies de l'univers.

    Pour La source de la Loire j'étais à Paris, je cherchais du travail... tout le temps le mot source me venait. (Il se trouve que mes grands-parents habitaient près de la source de la Loire.) Le mot source échappe au monde, il donne sans jamais prendre rien. Tout à coup à l'automne, il a fallu que je filme, mais ce n'était pas pour moi, il fallait que ça se fasse — une nécessité — il faut se méfier car ce n'est pas ça qu'il y a dans le film.
    Pour la vache, c'est l'idée de ruminer, passer, sentir à la logique, par tous les niveaux sensoriels, intellectuels, et faire que cette sensation soit entièrement sienne. La vache (filmée aussi sur le mont Gerbier-de-Jonc), un mouvement de mastication, un cycle, je ne veux intervenir que dans la mesure où la chose existait avant et continue d'exister après (pas d'événement).
Chez les noirs, répéter une chose fait qu'elle est vraie.
Dans cette procédure (vraie pour les cinq premiers films), l'homme n'intervient pas.
    Portrait devait s'appeler Hollywood est mort. La science recycle tout ; l'homme fait que l'énergie crée un surplus d'énergie.
     L'Homme nu c'est la disparition.
    Les ronds dans l'eau — un caillou dans l'eau, ça crée des ondes, mais après il y retour au calme. Être à la source et y être pour rien.
    L'amour dit devient toujours une imposture. Dire quelque chose c'est déjà le détruire. En arrêt, le verbe n'est qu'une accumulation qui s'ajoute. Tout est dans la vibration.
    Au terme de l'amour on ajoute souvent le terme de la conscience, je nie la conscience. Le mot pour détruit l'instinct.
Alors que l'amour peut être pur instinct. L'instinct c'est avant toute règle.
    Comment peut-on filmer en étant complètement présent, être en accord avec le reste ? (L'amour c'est quand on est là et pas ailleurs.)
    Le cinéma est le seul art que l'on peut manipuler sans rien connaître. Le cinéma joue avec la lumière ; l'Homme nu est un jeu avec la lumière.
    Parce qu'on est en temps de crise, l'Underground et la nouvelle vague sont nés dans une crise économique mais à cette époque les nouvelles techniques ont permis un essor économique. Il y a une carence de la technique aujourd'hui, par exemple en urbanisme il n'y a pas de solution entre le village et l'habitat moderne, il n'y a plus d'harmonie, il y a eu des améliorations mais non pas solutions, je ne vois que la musique où Boulez a trouvé une solution ; il est passé de l'atonalité à une nouvelle tonalité. Quand Boulez dirige Wozzeck, il en fait quelque chose de totalement tonal, il est arrivé à une nouvelle nature, au contraire de Messian, Stockhausen, lorsque Karl Böhm dirige Wozzeck, c'est complètement atonal. Mais aujourd'hui Boulez n'est plus un musicien, il fait l'Irma. En temps de crise, des avant-gardes se sont pourtant manifestées. N'est-il pas plus important maintenant de faire un journal, une salle, que des films ? À Lyon, seize cinéastes pendant cinq mois se sont mis à faire une salle, il y a eu des drames pour chacun de nous, mais on était très obstinés, n'est-ce pas là où se situe aujourd'hui le cinéma ?