Bertrand Stofleth
Dossier mis à jour — 13/10/2022

Enquête photographique : Sur les modalités d'expansion d'un urbanisme diffus

Enquête photographique : Sur les modalités d'expansion d'un urbanisme diffus
Par Danièle Méaux, 2019
Paru dans Jacqueline Maria Broich, Wolfram Nitsch & Daniel Ritter, Terrains vagues. Les friches urbaines dans la littérature, la photographie et le cinéma, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2019, p. 161-178.

1. Un habitat en archipel

La fin du vingtième siècle a été marquée par d'importantes transformations dans les manières d'habiter et d'investir le territoire. La population urbanisée a cru de façon spectaculaire : trois individus sur dix étaient urbains en 1950, cinq sur dix en 2008. En 2050, ce sera le cas de 70 % au moins des 9,6 milliards d'habitants escomptés sur la planète 1 ‒ le milieu urbain ne se trouvant moins défini selon des critères de densité et de contiguïté que de connexité (matérielle ou immatérielle) 2. Autrement dit, l'habitat urbain ne correspond plus à l'organisation de la ville traditionnelle, caractérisée par un tissu serré et une forme relativement circonscrite ; il s'accommode de la dispersion permise par les moyens de locomotion modernes et les nouvelles technologies – la distance étant mesurée en fonction du temps nécessaire pour établir la liaison entre deux points, pris dans un maillage.

Françoise Choay titre un de ces articles « "Villes" : un archaïsme lexical 3 », stigmatisant ainsi l'obsolescence d'un schéma hérité du passé, fondé sur l'idée d'un centre historique autour duquel une expansion progressive irradie sur la « campagne ». Selon la théoricienne de l'architecture, « l'ère des entités urbaines discrètes est terminée 4 » tandis que s'affirme celle d'une « urbanisation universelle, diffuse et éclatée 5 », faite de noyaux épars, pris au sein d'un agencement filamenteux. Pour Françoise Choay, toute nostalgie d'un schéma ancien s'avère inutile. Avec le reflux de certaines activités industrielles, des poches désaffectées viennent peu à peu trouer la ville traditionnelle dont la compacité se trouve ainsi défaite. En « périphérie » (ce terme ayant précisément perdu de sa pertinence), des constructions se développent sans arrêt, ni seuil identifiable, en pôles restreints répondant à des initiatives disjointes et peu concertées. Dans un ouvrage intitulé L'Antiville 6, l'architecte italien Stefano Bœri critique avec virulence cette évolution ‒ opposant l'éparpillement de l'habitat contemporain à la forme générique de la ville.

En 1996, Stefano Bri s'est attelé à l'observation des transformations récentes du paysage italien, au fil d'un travail d'investigation mené en collaboration avec le photographe Gabriele Basilico qui partageait ses préoccupations. Sur une image satellite du pays, six sections rectangulaires ont été définies, chacune mesurant 50 km sur 12 km et constituant un échantillon, en vue de la caractérisation et de l'analyse de l'urbanisme éclaté qui s'est mis en œuvre 7. L'architecte italien observe, sur les images, l'agencement dispersé des constructions – qui se présente pour lui comme le miroir d'un fonctionnement politique autorisant des implantations successives, sans véritable régulation. Les constructions, loin de se développer en halo à partir d'un centre, semble répondre à une foule d'initiatives individuelles ou locales. Les vues font ressortir la coprésence de petits systèmes ‒ qui relèvent de la vie familiale, du commerce, de l'administration ou encore de l'entreprise ‒ et de voisinages improbables, apparemment dûs au hasard. Aucune frontière n'est discernable : la progression paraît s'effectuer de façon tout à la fois continue et désordonnée. Les photographies donnent à voir les chevauchements et les intersections d'une myriade de petits systèmes. Pourtant, selon Stefano Bœri, des logiques partielles restent discernables : certaines classes de bâtiment reviennent pour constituer un vocabulaire limité et récurrent : habitation individuelle, maison mitoyenne, immeuble de taille intermédiaire, centre commercial, entrepôt, ensemble de bureaux... Les éléments relevant de ces catégories sont affectés de variations régionales ainsi que de distinctions individuelles, chacun cherchant manifestement à signaler son originalité. Les photographies donnent à constater une subtile dialectique de la répétition et de la variation. Si certaines réflexions, développées par l'architecte à partir des images, concernent expressément le territoire italien ou méditerranéen, bon nombre de ses constats et de ses analyses caractérisent l'expansion urbaine, telles qu'elle est observable à l'échelle européenne.

Pour un quotidien italien, Stefano Bœri écrit un article consacré au travail photographique de Gabriele Basilico, intitulé « Le détective de l'espace 8 » ; l'installation ou le livre présentent de fait, chacun à leur manière, les résultats d'une véritable enquête menée sur l'urbanisme dispersé qui se répand aujourd'hui partout en Europe. Le théoricien légitime, à plusieurs reprises, le recours à la photographie par l'inefficacité des outils de la topographie traditionnelle 9 (cartes géographiques, vues aériennes, langage...) pour l'analyse de ces nouvelles organisations du territoire. Pour Stefano Bœri, la photographie, assortie de la méthode d'échantillonnage mise en place, se présente comme une modalité d'enquête à même de suppléer aux manques des investigations ordinairement menées par les chercheurs en sciences humaines 10. Les images ‒ réalisées à hauteur d'homme et prises dans une tension constante entre mobilité et cadrage ‒ s'avèrent singulièrement pertinentes pour l'étude d'espaces urbains qui sont précisément structurés par la mobilité (matérielle et immatérielle).

2.  Photographier les « paysages usagés 11 »

C'est également un travail d'enquête de terrain que mènent Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth 12 lorsqu'ils décident ‒ en 2012 ‒ de créer leur propre Observatoire Photographique du Paysage sur le tracé du GR 2013 (qui n'est pas alors encore balisé). Il s'agit là du premier sentier de grande randonnée péri-urbaine créé en France ; ce n'est pas un hasard s'il est lancé au moment même où Marseille devient Capitale européenne de la culture, en 2013. Son itinéraire, long de 365 km, revêt une dimension politique puisqu'il travaille à l'intégration des différentes intercommunalités qui se rejoignent (en 2012) pour former la Métropole d'Aix-Marseille-Provence 13. Sur le site Rando Var, on peut lire :
C'est un sentier de grande randonnée, créé par Marseille-Provence 2013.

Un vrai parcours : 365 kilomètres à travers un territoire balkanisé, économiquement lié à la métropole de Marseille. Un sentier sang et or, aux couleurs de la Provence. Mais un sentier doté d'une dimension toute particulière : son objet est de nous faire voir et, mieux, toucher les paysages tels que les   hommes les transforment 14...

En choisissant d'adopter ce GR pour en faire un espace d'investigation du territoire, Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth témoignent de la volonté de renouveler la démarche des Observatoires photographiques du paysage 15, tels qu'ils se sont multipliés, en France et en Europe, depuis la Mission photographique de la DATAR (1983-1989).

Les deux photographes travaillent en duo, se concertant pour réaliser ensemble les prises de vue. Procéder de la sorte, c'est d'emblée faire de la photographie un exercice de patience et de réflexion ; le déclenchement « à la sauvette » n'est tout simplement plus possible. Geoffroy Mathieu et Bertrand Stoffleth s'attellent, en particulier, à ausculter la relation qui s'établit entre la ville et la nature. Comme au sein de tout Observatoire photographique du paysage, ils réalisent des images destinées à être reconduites (d'un même point de vue et selon un cadrage identique).

Sur chaque vue, un trait blanc matérialise l'itinéraire suivi par les deux opérateurs, autrement dit le GR 2013. La présence de cette ligne insiste sur le protocole mis en place. Elle renvoie aussi à la pratique de la marche en tant qu'exercice propice à l'expérience du paysage. Les deux photographes affichent ainsi le désir de placer leur entreprise au croisement de deux filiations : d'un côté, celle des Observatoires photographiques du paysage ; de l'autre, celle des marcheurs du Land art, tels Hamish Fulton ou Richard Long 16. Cependant, alors ces derniers optaient pour des sites aussi proches que possible de la virginité des origines, Geoffroy Mathieu et Bertrand Stoffleth ont choisi les « paysages usagés » de la région marseillaise. Leur démarche rappelle, à cet égard, celle du laboratoire d'art urbain STALKER, tourné vers l'exploration pédestre des terrains vagues et des sites délaissés à la périphérie des grandes villes. La ligne blanche, visible sur tous les clichés, relie en tout cas les images entre elles ‒ rappelant que chaque cadrage est articulé à un exercice de la mobilité.

La notion de « paysages usagés » n'est pas sans faire écho aux « Man-altered Landscapes » de l'exposition « New topographics » qui eut lieu à Rochester en 1975 17 ‒ dont on sait combien elle a influencé les photographes qui s'intéressent actuellement au paysage 18. Ce sont en effet des sites fortement anthropisés qui sont mis en images par Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth. Les deux auteurs viennent renouveler le regard habituellement posé sur des espaces périurbains ordinaires, mobilisant somme toute le potentiel de défamiliarisation de la photographie pour provoquer une reconsidération de ces sites, normalement peu pris en compte 19. De fait, par le biais du cadrage, les vues mettent en évidence certains voisinages, qui existent certes dans la réalité, mais se trouvent ainsi portés à l'attention du spectateur. Ce sont également les emplacements vacants qui ressortent, puisqu'ils prennent, au sein des vues, une importance comparable à celle des emplacements occupés. Ce sentiment d'équivalence des « pleins » et des « vides » ‒ qui ne sont précisément pas vides, nous le verrons ‒ se trouve servie par la précision des images de Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth, qui travaillent à un appareil Hasselblad très performant ; il est conforté par les tonalités nuancées, les subtils dégradés de lumière de leurs photographies ‒ certains coloris n'étant pas sans rappeler ceux des peintures de la Renaissance italienne. La photographie tend, par ailleurs, à niveler sur un même plan des bâtis étagés dans la profondeur du champ : des éléments se trouvent dès lors mis en relation, alors qu'une vision à l'œil nu les tiendrait à distance, par le seul mécanisme de l'accommodation qui sélectionne une zone de netteté extrêmement restreinte. Bien des choix sont évidemment pratiqués par les deux photographes, mais ces simples paramètres travaillent déjà à modifier profondément la perception de lieux anodins que chacun croyait connaître.

Cent photographies ont été retenues, et présentées sous deux formes ‒ un coffret et un site ‒ complémentaires et d'égale importance, l'un ne prévalant pas sur l'autre. Le coffret en carton est jaune d'or et rouge vif. Ces couleurs sont celles du GR ; ce sont aussi celles des boîtes de pellicules couleur Kodak ; elles renvoient ainsi à l'idée d'une pratique de masse de la photographie : à ses débuts, le slogan de la firme n'était-il pas : « Press the button and we do the rest » ? À  l'intérieur du coffret, les cent vues sont présentées sous forme de cartes postales, portant au verso les mentions habituelles à ce type de support. Cette option rapproche encore le travail de Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth d'usages vernaculaires de la photographie. S'il est habituel que de tels jeux de cartes postales soient vendus aux touristes, ils sont généralement consacrés à des lieux qui « valent le voyage 20 », bien différents des sites représentés dans Paysages usagés. La référence demeure cependant ‒ le caractère un peu « kitsch » du dispositif s'accordant somme toute assez bien à la banalité de sites, certainement boudés de la plupart des touristes. S'ajoutent encore à cela une connotation un peu désuète : à l'heure du numérique et des smartphones, la carte postale est certainement beaucoup moins populaire que par le passé.

Assez loin de cette connotation, au verso de chaque carte postale, figurent la situation et l'orientation exactes de la photographie, chaque prise de vue étant précisément géo-localisée en vue de sa reconduction. En plus des cent cartes numérotées, le coffret contient une carte IGN à déplier, où figure le tracé rouge du GR 2013 et la position de chaque point de vue. Le coffret peut encore faire penser à une boîte contenant un jeu de cartes à jouer. À la différence du livre qui organise ‒ plus ou moins ‒ une perception ordonnée des images, ce dispositif laisse le spectateur libre des modalités de sa découverte des photographies ; il permet d'infinis réagencements ou reconsidérations, puisque les cartes peuvent à l'envi « être battues ». Il n'est donc pas sans ménager une activité du récepteur qui manipule, combine, intervertit et réordonne les vues qui lui sont proposées, en fonction du lieu de prise de vue indiqué sur la carte IGN, du retour d'un motif ou encore d'une ressemblance de cadrage...

L'objet est en tout cas difficile à classer dans une catégorie bien identifiée... comme à ranger par son acquéreur  dans un endroit déterminé : peu adapté au rayonnage de la bibliothèque, il n'est pas non plus « décoratif » au sens traditionnellement imparti à ce terme ; chacun sera donc enclin à s'accommoder de cette difficulté à sa manière ‒ ce qui peut précisément plaire aux happy few. Il paraît, en revanche, peu probable que les pseudo-cartes postales soient envoyées ‒ ce qui grèverait la cohésion et la complétude d'un ensemble qui ne paraît pas destiné à être défait, dilapidé... Après tout, si la série de cartes postales destinées à l'envoi est un objet vernaculaire, la boîte, la valise ou le coffret 21 ressortissent aux dispositifs prisés dans le champ des arts contemporains. Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth jouent, pour ainsi dire, sur les deux tableaux.

Un site, intitulé OPP GR2013, se présente comme une tout autre modalité de présentation des vues, qui  s'avère complémentaire de la précédente ; sans doute les acquéreurs du coffret ont-ils tendance à aller sur le site, et les internautes intéressés à acheter le coffret. Le fond du portail du site est du même jaune d'or que l'enveloppe cartonnée du coffret ; le sigle de l'OPP, présent sur les cartes postales (à l'emplacement traditionnellement imparti au timbre), apparaît également en haut à droite de ce portail : la solidarité du coffret et du site se trouve donc nettement signifiée. Sur ce dernier, un onglet renvoie d'ailleurs à la « publication » (sic) ; figure également une carte ‒ un curseur situé à la droite de l'écran permettant de faire varier son échelle ‒ sur laquelle le GR 2013 est tracé en rouge ; les points de vue sont indiqués en noir, par le biais d'un signe qui indique l'orientation adoptée par les photographes. Cliquer sur un de ces signes permet de faire apparaître la vue qui a été réalisée à cet endroit.

Le site invite également à la participation :
Pendant dix ans, chaque point de vue fera l'objet d'une reconduction annuelle enrichissant le projet artistique de l'observatoire, contribuant ainsi à l'analyse de l'évolution des paysages de la métropole. Nous recherchons 70 participants pour réaliser les reconductions d'un point de vue de leur choix. Chacun se verra remettre l'œuvre originale (un tirage recto/verso sous diasec, incluant une fiche technique) qu'il pourra conserver tant qu'il réalisera pour l'observatoire les reconductions de son point de vue. Tout au long de l'année 2013, auront lieu des rencontres sur le territoire pour former les adoptants à la reconduction de point de vue et au traitement des images. Équipement nécessaire de l'adoptant : posséder un appareil reflex numérique équipé d'un zoom standard et d'un trépied 22.
Seulement soixante-dix des cent photographies sont ouvertes à forme de reconduction participative ‒ les trente dernières étant reconduites annuellement par Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth eux-mêmes. Lorsque l'ensemble des images apparaît sur la page d'accueil, cliquer sur l'une d'entre elles permet de l'agrandir. Des indications détaillées 23 concernant la prise de vue apparaissent dès lors sous la photographie agrandie. Si l'image a été adoptée, des flèches situées à sa droite permettent d'accéder aux reconductions effectuées.

À l'instar de Gabriele Basilico et Stefano Bœri pour Italy. Cross Sections of a Country,  Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth conduisent un travail d'enquête, qui repose sur un protocole rappelant ceux des chercheurs en sciences humaines 24. Les prises de vue s'appuient sur un long travail de repérage. La méthode n'élimine pas la subjectivité, mais observe des règles clairement explicitées. Si le photographe italien travaille avec un architecte, les deux français n'agissent pas seuls mais associés à des personnes possédant une certaine expertise en matière d'urbanisme : « À l'invitation des photographes, un comité de pilotage composé des artistes du Cercle des marcheurs, de géographes, de paysagistes et d'aménageurs [les a accompagnés] dans leur appropriation et leur connaissance du territoire 25. » La pratique de la prise de vue est partie prenante d'un travail d'investigation partagé. Les photographies s'avèrent à même de constituer un complément aux études effectuées dans le cadre d'approches disciplinaires variées, d'apporter des informations ou de susciter des réflexions comme ne peuvent le faire les outils traditionnels. Les vues invitent à l'observation, au décryptage, à la déduction et ‒ les deux photographes y insistent ‒ elles appellent le commentaire ; ils invitent de fait à prendre « les images produites comme proposition[s] d'analyses et non comme illustrations de problématiques connues 26 ». Le site confère donc à l'enquête une dimension vaste et collective, appelant chaque internaute à la poursuivre.

Rudolf Arnheim a mis en évidence que la dimension perceptuelle était nécessaire à la pensée productive ; il a stigmatisé le « sous-emploi généralisé des sens 27 », alors que les opérations cognitives s'ancrent notamment de façon intime dans la vision ‒ cette dernière étant un exercice éminemment actif et complexe, et non un simple enregistrement de stimuli : « La sensibilité sensorielle peut [...] être qualifiée d'intelligente 28 », « [l]a formation des concepts [commençant] avec la perception de la forme 29. » Des images, renouvelant le regard, travaillent ainsi à une reconsidération des phénomènes. Les photographies de Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth peuvent, par exemple, apprendre à considérer les choses en relation les unes avec les autres, à percevoir les ressemblances ou les différences, à déceler des rythmes ou des proportions. Elles participent donc à une compréhension de la complexité 30 des phénomènes, quand le langage peut avoir tendance à « démanteler la simultanéité de la structure spatiale 31 ». Les photographies rendent sensibles les effets que les choses ont les unes sur les autres. Elles mobilisent la mémoire qui vient implémenter la perception. Des propriétés communes, récurrentes « sautent aux yeux », et autorisent éventuellement certaines formes de généralisation. Rudolf Arnheim affirme l'unité qui existe entre perception et conception ; un tel point valide le travail des photographes comme forme de recherche à part entière. Il n'est d'ailleurs pas indifférent de constater que le théoricien considère que « [l]es voies et les finalités de l'art sont [...] très voisines de celles de la science 32 [...] », puisque cette dernière, « comme l'art, n'existe qu'à condition d'embrasser l'échelle complète qui va de la perception directe, empirique, aux constructions élaborées et d'entretenir une échange permanent entre ces deux pôles 33. »

3. Une expansion à trous

Le GR 2013 passe par l'Agglopole Provence, le Pays d'Aix, le Pays d'Aubagne, le Pays de l'Étoile. Au sein de l'ensemble des images réalisées par Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth, dominent les nuances variées de vert : celui des pinèdes voisine ceux de la vigne, des haies, des herbes folles ou de la garrigue... Les constructions ‒ dont la densité est variable selon les vues ‒ sont en contact permanent avec la « nature ». Dans les photographies où la figure humaine reste rare (sans être pour autant complètement éradiquée), c'est la coprésence et l'interaction constantes du végétal et du bâti qui s'impose au regard. Les plantes ou les arbres ne sont jamais absents, mais leur proportion varie d'une vue à l'autre ‒ certaines images faisant la part belle à la forêt, tandis que d'autres témoignent de l'envahissement des lieux par des constructions diverses. C'est à l'observation minutieuse de ce dosage entre « nature » et « usage » (pour reprendre le titre de l'œuvre) qu'introduisent les cent vues réalisées ‒ toute série de photographies incitant peu ou prou à la comparaison, à l'évaluation des analogies et des différences. La reconduction ‒ qu'elle soit le fait des deux auteurs ou bien d' « adoptants » ‒ permet de constater certaines évolutions dans cette distribution du bâti et de la végétation.

Quelles que soient les vues, s'impose en tout cas l'évidence d'un « espacement » (soit d'une propension à l'augmentation de la distance traditionnellement de mise) entre les différents aménagements ; les installations ne se tiennent pas en un tissu serré et dense, mais en un maillage dispersé ‒ les vues portant précisément à percevoir l'espace qui se trouve « entre » les implantations, à considérer davantage leur agencement lâche que leurs formes intrinsèques. Dans toutes les images, la douceur des tonalités et des lumières, la précision du grain et la présence relativement importante du ciel travaillent à établir la sensation d'une continuité spatiale ‒ investie de nœuds habités de taille variable. La vue 62, prise à Septèmes-les-Vallons dans les Bouches-du-Rhône, conduit à remarquer que la perception de cet « espacement » est d'autant plus sensible qu'il se joue dans la profondeur de la représentation : de la route ‒ et du bâtiment en construction qui le longe ‒ au premier plan jusqu'aux immeubles visibles sur une colline à l'horizon, une étendue importante se creuse : elle se fait l'équivalent d'une distance à une position imaginaire du spectateur ‒ qu'il lui faudrait du temps pour parcourir.

Vue 62 : « Séptèmes-les-Vallons, Traverse des fraises, le 13 juin 2012 à 14h 14 » © Geoffroy Mathieu, Bertrand Stofleth.

La démarche des deux photographes ‒ consistant à suivre le GR 2013 ‒ travaille en lui-même à l'évocation d'un « espace lisse », que Gilles Deleuze oppose à « l'espace strié 34 » qui est organisé par des seuils et frontières franches. Cela convient tout particulièrement à des zones d'habitat éparpillé, situées en périphérie urbaine et régies par une grande mobilité des résidents. Dans les vues de Paysages usagés, le maillage des voies de circulation est très présent. Mais c'est aussi la réticulation des fils électriques qui vient ponctuer et strier les images. La vue 57, prise près d'Aix-en-Provence, sur la  route de la Tour d'Arbois, montre une pinède fendue par une route, au premier plan, et rythmée de nombreux pilonnes verticaux. Ce site forestier, quadrillé de « canaux » destinés à des flux variés, peut apparaître comme emblématique de l'espacement et de la connexité qui régit la spatialité contemporaine. De façon générale, les photographies de Paysages usagés donnent à voir une nouvelle forme d'urbanisation, éloignée du schéma traditionnel de la ville, mais faisant manifestement de ses habitants ‒ mobiles et connectés ‒ des urbains, même quand ils vivent au sein de « la verdure ». Les vues de Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth incitent à une réflexion à ce sujet ; elles le font d'autant plus efficacement qu'elles donnent à éprouver l'espacement et le quadrillage des flux, en des formes plastiques qui en rendent sensible la logique.

Vue 57 : « Aix-en-Provence, Route de la Tour d'Arbois, le 15 octobre 2012 à 11h 15 » © Geoffroy Mathieu, Bertrand Stofleth.

Même quand les aménagements s'avèrent relativement peu distants, des poches non investies peuvent être observées entre les constructions. Ces « vides », de tailles et de formes variables, obéissent à des rythmes diversifiés, mais sont toujours présents. Dans sa préface à Italy. Cross Sections of a Country, Stefano Bœri invitait précisément à prêter attention aux « vides » et à en dresser une typologie 35 : l'urbanisme pourrait sans doute, affirmait-il, être mieux caractérisé par les types de « vides » ménagés que par la forme même des constructions. Si les territoires mis en images par Gabriele Basilico, dans  Italy. Cross Sections of a Country, sont très différents de ceux photographiés par Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth dans la région marseillaise, les vues de Paysages usagés attirent bel et bien l'attention du spectateur sur des « vides » ‒ envahis par la végétation ‒ dont différentes catégories peuvent être distinguées.

Vue 23 : « Martigues, Chemin des fabriques et A55, le 31 mai 2012 à 16h29 » © Geoffroy Mathieu, Bertrand Stofleth.

Au sein des images, il y a d'abord des espaces demeurés vacants entre les routes, les bretelles ou les voies d'accès aux autoroutes. Aux interstices de ces tracés dynamiques planifiés par les aménageurs, restent des parcelles oubliées où se développent des mauvaises herbes ou des arbustes. Ces portions délaissées ‒ de tailles variables ‒ se présentent comme les conséquences, les restes de l'importance prise aujourd'hui par les axes de communication qui se coupent et s'entrecroisent. Ils prennent parfois des allures de corridors : le cadrage de la vue 23, prise à Martigues, place une telle parcelle au centre de l'attention ; s'impose la vigueur des herbes folles enclavées entre les deux chaussées grises, plus ou moins convergentes. Si ces intervalles entre les infrastructures routières sont de superficie restreinte, ils restent non négligeables et, en tout cas, récurrents. Ils constituent des poches de biodiversité entre des plages de macadam.

Vue 68 : « Marseille, La Mirabilis, Le Merlan, le 24 septembre 2012 à 15h » © Geoffroy Mathieu, Bertrand Stofleth.

Vue 70 : « Marseille, La Busserine, le 24 septembre 2012 à 16h05 » © Geoffroy Mathieu, Bertrand Stofleth.

L'expansion urbaine paraît peu économe de place : des parcelles oubliées sont presque constamment présentes entre les bâtiments d'habitation, quelle que soit leur nature. Les constructions semblent d'emblée réalisées à une certaine distance les unes des autres, et sans réflexion sur la manière d'aménager les intervalles afin d'en faire des espaces de vie ou de respiration. Les vues 68 et 70 sont prises au sein de Marseille ; sur la première image, près d'immeubles de taille moyenne, des poches vacantes accueillent sans soin les herbes folles et les arbustes, qui s'imposent au premier plan au regard du spectateur ; sur la seconde, les talus pentus et peu végétalisés retiennent l'attention : ils sont non entretenus et abîmés par l'érosion. Éloquentes sont d'ailleurs les vues de Paysages usagés qui figurent des chantiers : les bâtiments inachevés sont généralement entourés d'espaces non pris en considération, dans la mesure sans doute où ils n'appartiennent à personne.

Vue 40 : « Pélissanne, Vieux chemin de Lambesc à Salon » © Geoffroy Mathieu, Bertrand Stofleth.

Il est enfin des terrains non entretenus ‒ qu'ils soient fermés ou ouverts ‒ autour d'entrepôts ou de bâtiments industriels. Ces constructions s'installent loin des centres urbains, là où le foncier est moins cher et les superficies sont bradées. Quand l'activité cesse, des friches industrielles restent. Sur la vue 24 prise à Port de Bouc, à l'extérieur et à l'intérieur d'une parcelle entourée de grillage, des déchets variés jonchent le sol ; les vieux pneus et les gravats voisinent les buissons de genêt ; ce paysage désolé est dominé par la carcasse d'un bâtiment industriel désaffecté. Le temps paraît suspendu, entre activité passée et abandon présent, patrimoine naturel abîmé et persistance d'une végétation tenace.

Vue 24 : « Port de Bouc, Gare marchande de Garonte-la Gafette, le 31 mai 2012 à 18h36 » © Geoffroy Mathieu, Bertrand Stofleth.

Interstices pris entre les routes, entours d'immeubles, délaissés des chantiers de construction, environnements des installations industrielles (que ces dernières soient en fonction ou non) différent, mais écoulent une même tendance à l'espacement de l'habitat urbain. Tous ces espaces vacants ne sont pas vides, mais envahis par la végétation. Les écologistes et les paysagistes, partisans de la biodiversité, prêtent aujourd'hui une attention croissante aux friches et aux terrains vagues. Gilles Clément a forgé l'expression de « tiers-paysage 36 » pour désigner l'ensemble des parcelles non entretenues, qui sont susceptibles d'accueillir une multiplicité d'espèces végétales ou animales. Le « tiers-paysage », ce sont aussi bien les friches, les terrains vagues que les marais, les landes, les bords de routes, les talus des voies ferrées... qui constituent autant de zones non entretenues par les hommes ; ces espaces de déprise, habituellement négligés, sont valorisés pour leur richesse. Selon une forme de renversement, ils se trouvent appréhendés positivement, en tant qu'espaces d'accueil de la biodiversité. Les vues de Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth mettent en valeur cette densité et cette diversité végétale.

Faut-il qualifier ces espaces interstitiels de terrains vagues ? Il apparaît, en tout cas, que ces poches délaissées sont les effets secondaires d'une forme d'expansion urbaine qui aujourd'hui s'impose. Ces intervalles découlent de la façon dont les habitations et les équipements occupent progressivement les sols, se développant par le biais d'initiatives individuelles, la plupart du temps non concertées. Ils procèdent d'un mode de vie régi par la mobilité, qui fait fi de la préservation de la « campagne ». Ces parcelles vacantes ne sont nullement abordées dans Paysages usagés comme des objets à part entière, mais prises dans un paysage, et conséquences d'un urbanisme diffus ‒ dont elles sont les révélateurs. Ce sont les marqueurs de nouvelles modalités d'aménagement, très différentes de celles du passé.

La série Paysages usagés illustre combien l'approche sensible du territoire proposée par certaines pratiques de la photographie s'avère à même de servir une analyse de l'urbanisme contemporain ; des sites ordinaires se trouvent appréhendés dans leur complexité et dans le dynamisme de leur évolution. L'enquête de Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth repose sur les ressources d'un médium à même de porter au regard (et à l'attention) un certain nombre de phénomènes spatiaux, de faire ressortir les logiques d'organisation et d'expansion de l'habitat ; elle est également construite sur un protocole (incluant le fait de suivre le GR 2013, mais aussi la reconduction des prises de vue) ; elle exploite de surcroît des dispositifs de diffusion ‒ le coffret, le site ‒ capables de susciter, d'une manière ou d'une autre, une collaboration active des spectateurs qui se transforment ainsi eux-mêmes « enquêteurs ».

L'œuvre ne se limite pas aux seules images (si intéressantes soient-elles) ; elle inclut la conception de l'entreprise, la démarche qui sous-tend les prises de vue, les reconductions (y compris celles d'ailleurs dont Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth ne sont pas les auteurs), le fonctionnement du site, le dispositif du coffret et les usages inventifs qu'il propose à ses acquéreurs. Ces éléments sont de natures différentes ; certains sont matériels (les cartes postales) et s'offrent à l'observation ou à la manipulation ; d'autres relèvent de l'expérience (le parcours, mais aussi la consultation du site) ou encore de la réflexion (l'élaboration du projet par exemple, mais également l'évaluation par le spectateur des rapports entre parcelles délaissées, végétation et constructions). Certaines opérations sont réalisées par les deux photographes, mais elles se poursuivent en initiatives laissées à d'autres : les acquéreurs du coffret comparent et organisent les vues, comme ils le souhaitent ; les internautes peuvent être incités à se rendre sur le GR 2013 et à pratiquer la reconduction. L'œuvre se présente donc comme un ensemble organisé de composants qui se manifestent selon des formes immanentes diverses et s'articulent entre eux. Elle constitue une forme de constellation ouverte ; à l'instar des « paysages usagés » auxquels Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth s'intéressent, elle est elle-même réticulaire, « espacée »... et inachevée.

Le travail des deux photographes donne en tout cas à penser ‒ de façon renouvelée ‒ un urbanisme contemporain dévoreur d'espace, faits de polarités éparpillées, prises dans un maillage plus ou moins serré de lignes matérielles et immatérielles. Elles rendent sensible l'espacement d'un milieu urbain qui se développe selon un régime de connexité et mettent l'accent sur la place que la végétation garde dans ce type territoire hybride et sans limites assignées. Au sein de cet habitat diffus, les parcelles vacantes revêtent une importance considérable ‒ différentes catégories d'espaces interstitiels pouvant être dégagées. Les portions délaissées, loin des constituer des entités, sont les marqueurs d'un urbanisme éclaté et peu soutenable pour la planète.

  • — 1.

    Michel Lussault, Hyper-lieux. Les nouvelles géographies de la mondialisation, Paris, Seuil, « La couleur des idées », 2017, p.22

  • — 2.

    Michel Lussault, L'Homme spatial. La construction sociale de l'espace humain, Paris, Seuil, « La couleur des idées », 2007

  • — 3.

    Françoise Choay, « "Villes" : un archaïsme lexical », in Françoise Choay, Pour une anthropologie de l'espace, Paris, Seuil, « La couleur des idées », 2006, p.148 à 153

  • — 4.

    Françoise Choay, « Le règne de l'urbain et la mort de la ville », in Françoise Choay, Pour une anthropologie de l'espace, op. cit., p.190

  • — 5.

    Ibid.

  • — 6.

    Stefano Bœri, L'Antiville, Paris, Manuella Éditions, 2013.

  • — 7.

    Ce travail a été présenté à la biennale d'architecture de Venise, de septembre à novembre 1996, sous la forme d'une installation. Un ouvrage est également paru : Gabriele Basilico, Stefano Boeri, Italy. Cross Sections of a Country, Milan, Scalo, 1998

  • — 8.

    Stefano Bœri, « I dective dello spazio », Il Sole 24 Ore, Supplément culturel du dimanche, 16 mars 1997

  • — 9.

    C'est également par cet argument que Bernard Latarjet justifie le lancement de la Mission photographique de la DATAR quelques années plus tôt : « Entretien avec Bernard Latarjet » in Philippe Antoine, Danièle Méaux, Jean-Pierre Montier, La France en albums (XIXe-XXIe siècles),  Paris, Hermann, 2017

  • — 10.

    Stefano Bœri, « The italian landscape ; towards an ecclectic atlas », in Gabriele Basilico, Stefano Boeri, Italy. Cross Sections of a Country, op. cit., p.22

  • — 11.

    Voir Geoffroy Mathieu, Bertrand Stofleth, Paysages usagés. Observatoire photographique du paysage depuis le GR 2013, Marseille, Wildproject, 2013 (édition limitée à 250 exemplaires). Il y a également un site : http://www.opp-gr2013.com (consulté le 20 septembre 2017).

  • — 12.

    Bertrand Stofleth et Geoffroy Mathieu, parallèlement à leurs travaux artistiques personnels, réalisent ensemble au sein de l'association les Panoramistes, des projets photographiques depuis 2005.

  • — 13.

    Voir à ce sujet Jordi Ballesta, « Paysages usagés, ouvrage photographique et cartes postales d'une métropole ordinaire », in Philippe Antoine, Danièle Méaux, Jean-Pierre Montier, La France en albums (XIXe-XXIe siècles), Paris, Hermann, 2017, p.302.

  • — 14.

    http://www.rando83.fr/spip.php?article174 (consulté le 24 septembre 2017)

  • — 15.

    Voir http://www.opp-gr2013.com (consulté le 20 septembre 2017).

  • — 16.

    Jordi Ballesta, « Paysages usagés, ouvrage photographique et cartes postales d'une métropole ordinaire », art. cit., p.301

  • — 17.

    Ibid.

  • — 18.

    Danièle Méaux, Géo-photographies. Une exploration renouvelée des territoires, Trézélan, Filigranes Éditions, 2015

  • — 19.

    Bertrand Stofleth réside à Lyon, Geoffroy Mathieu à Arles. Les espaces mis en images sont donc également familiers aux deux praticiens. Par ailleurs, ces derniers ont longuement pratiqué le GR et y ont tissé des habitudes.

  • — 20.

    C'est ainsi que les hauts-lieux du tourisme se trouvent qualifiés au sein du guide bleu.

  • — 21.

    On pense à Marcel Duchamp, Robert Filliou, Joseph Cornell...

  • — 22.

    http://www.opp-gr2013.com/#

  • — 23.

    Sous la première image, on peut par exemple lire : Commune : Vitrolles ; Site : D9 ; Date de prise de vue : 03/12/2012 ; Heure : 11h45 ; Photographe : Bertrand Stofleth, Geoffroy Mathieu ; Coordonnées GPS : 5.298533,43.449 ; N° de point de vue : GR2013328 ; N° de position du point de vue : 1 ; N° Image référence : GR2013O32801 ; Appareil photo : Hasselblad CFV39 ; Focale : 50 ; Hauteur : 157 ; Orientation : 355

  • — 24.

    Danièle Méaux, « Géo-photographes », in Danièle Méaux dir., Protocole et photographie contemporaine, Saint-Étienne, Publications de l'Université de Saint-Étienne, 2014, p.129 à 147

  • — 25.

    http://www.opp-gr2013.com/#

  • — 26.

    Ibid.

  • — 27.

    Rudolf Arnheim, La Pensée visuelle [1969], Paris, Flammarion, « Champs », 1976, p.11

  • — 28.

    Ibid, p.25

  • — 29.

    Ibid, p.35

  • — 30.

    Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe [1990], Paris, Seuil, « Points Essais », 2005

  • — 31.

    Rudolf Arnheim, La Pensée visuelle, op. cit., p.260

  • — 32.

    Ibid, p.307

  • — 33.

    Ibid, p.320

  • — 34.

    Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux. Capitalisme et schizophrénie 2, Paris, Minuit, « Critique », 1980, p.592 à 625

  • — 35.

    Stefano Boeri, « The Italian Landscape: Towards an “Eclectic Atlas” », in Gabriele Basilico, Stefano Boeri, Italy. Cross Sections of a Country, op. cit., p.12

  • — 36.

    Gilles Clément, Manifeste du Tiers paysage, Paris, Sujet/Objet, 2004