Mathias Tujague
Dossier mis à jour — 23/05/2017

Journal de l'exposition de la 25e résidence des Ateliers des Arques

Journal de l'exposition de la 25e résidence des Ateliers des Arques, 2015
Texte de Caroline Bissière et Jean-Paul Blanchet, Directeurs de l'Abbaye Saint André - Centre d'art contemporain à Meymac

Le travail de Mathias Tujague part d'objets du quotidien qu'il reproduit en changeant de matériaux et d'échelle, les rendant immédiatement inutiles afin de les débarrasser de la prégnance de leur fonctionnalité, ne la laissant subsister comme trace qu'à un niveau qui n'est plus celui de la pratique, mais qui ouvre sur leur intelligence culturelle.

La place est le lieu où les autorités, les associations, les bateleurs, dressent podiums et estrades pour les meetings, les commémorations, les spectacles ou les bals, où les marchands dressent les étals où les habitants se croisent et échangent, où la collectivité villageoise se rassemble. Pour ces raisons, Mathias Tujague a installé sur la place principale bordant l'église, en face de la mairie, un podium. Celui-ci ressemble à n'importe quelle estrade par sa structure tubulaire d'échafaudage, pratique et démontable, adaptée aux événements éphémères, en rajoutant cependant dans le prestige par un sol imitant le marbre, comme celui d'un palais ou d'une église. Manière de souligner les dimensions spirituelles, de pouvoir, mémorielles et monumentales de l'espace dans lequel il s'insère.

Accessoirement ce podium rappelle que la sculpture contemporaine ne se cantonne pas dans le dérisoire ou le déconstruit. Assumant une continuité, elle sait recourir à des techniques anciennes, ici le Stucco Marmorino. Il rappelle aussi que l'art fondamentalement n'a pas de but pratique, qu'il est du côté de l'évocation, de l'illusion. C'est un socle sur lequel peut se déployer la pensée, un support pour l'imaginaire. Son apparence renforce, à partir de la notion de socle, l'évocation métaphorique de ce qui peut advenir dans l'espace collectif. Son utilisation ordinaire le détruirait. L'œuvre d'art est par essence fragile. Cette fragilité exhibée, redoublant les dimensions récurrentes du pouvoir et du sacré, tient le spectateur à distance. Celle qui permet la réflexion ou, au moins, le déclenchement de l'émotion.

Premier niveau de lecture auquel Mathias Tujague ajoute une complexité supplémentaire, en laissant inachevés les bords du plateau, dévoilant une plateforme d'échafaudage intermédiaire sur laquelle sont posées des concrétions calcaires en attente, prêtes à émerger au-dessus de la surface. Concrétions que l'on retrouve soutenant un des pieds de l'estrade et alignées sur une étagère qui courre sous toute une longueur du podium. La nature reste en dessous prête.

Ces cailloux entassés qu'il a façonné, qu'il nomme « diva » en référence au nom du ruisseau proche où il a découvert les concrétions calcaires dont il s'est inspiré, sont peints comme dans les temps anciens, de la palette des couleurs cérémonielles : rouge, bleu, ocre-jaune, vert. Couleurs condamnées à disparaître sous l'effet des intempéries et de la lumière. Comme on le sait de l'histoire et des destinées humaines.

A l'intérieur, Mathias Tujague présente des petits volumes sommairement façonnés, restes du stuc utilisé pour le sol, à la manière de l'artisan qui bricole de petits objets ou de petites figures, comme une respiration nécessaire, en marge de son travail à partir des chutes des matériaux qu'il emploie.