Françoise Vergier
Dossier mis à jour — 20/07/2022

Le printemps

Le printemps, ça revient toujours (Farrebique)
Françoise Vergier, femme-paysage
Par Danièle Rousselier, 2016

Françoise Vergier est liée à la terre.
Terre des origines, terre crayeuse, blanche, des collines striées de lavande, terre sombre des labours. Terre légère, gorgée de soleil et de vent, ou profonde, menaçante, chargée des pluies d'automne.
Terre-mère, terre matricielle, terre nourricière. Le couple terre-fécondité constitue le noyau dur de l'œuvre de l'artiste. Le rond, le cercle, inscrit sur la plupart de ses créations, évoque les cycles de la nature, la présence de la lune ou du soleil. Le passage de la vie à la mort et de la mort à la vie. Anéantissement et renaissance. Cette symbiose féminité-nature irrigue tous ses travaux, irradie le moindre de ses dessins, objets ou sculptures nés de son imaginaire, et cela sous les formes les plus variées, dans les déclinaisons les plus inattendues (fusain, céramique, émail, pastel, perles, verre, néon...).
Ventres de femme, seins blancs sur lesquels ondulent tendres vallons et bosquets noirs. Tels de délicats tatouages, les ramures des oliviers et les rayures grises des sillons serpentent sur les visages, les bustes, les girons ou autres fragments de corps dissociés. Comme perçus à vol d'oiseau, ces paysages marquent d'une empreinte définitive la peau féminine.
Françoise - dont le patronyme porte arbres et fruits -, issue d'une longue lignée travaillant la terre, s'identifie dans son art à la nature. Ses yeux, à la couleur indéfinie et changeante, mélange de vert, de gris et de brun, reflètent selon la lumière les feuillages, l'eau des rivières, l'écorce des chênes ou les nuées avant l'orage. Elle est paysage.
Paysage natal, paysage mental. Paysage souriant, poétique et diaphane à la manière des dessins japonais à l'encre de Chine, paysage rude, brutal, marqué par l'angoisse. La destruction.
Car l'histoire et la politique, la violence du monde, ne sont jamais loin chez Françoise Vergier. Violence de la guerre, violences faites aux femmes.
On ne peut qu'être saisi par la puissance évocatrice des trois Vénus de la place Tahrir, exposées ensemble pour la première fois. Corps cambrés, comme tordus par la sauvagerie masculine. Des capsules de bière incrustées dans leur chair. Chair meurtrie à coups de bottes.
Cette cambrure, ces bras jetés en arrière, créent une tension si étrange que la souffrance semble proche de l'abandon. Sur l'une des Vénus, un paysage aux douces tonalités grises, presque oriental, glisse sous le sein et remonte sur le ventre, apportant de façon troublante tendresse et sérénité à cette scène de guerre civile.
Sur la Vénus au bandeau rouge, la force de ce rouge - lisse et brillant -, sa puissance vitale, semble arrêter la chute, la suspendre. La coulée rouge maintient la sculpture au socle, soude le corps au sol.
Le regardeur qui découvre ces trois Vénus, comme surgies de la statuaire antique, ne peut qu'être sidéré, et sans doute perturbé, par l'alliance d'une certaine douceur et d'une brutalité avouée. Alliance dérangeante : la douleur de ces Vénus à la tête rejetée, au torse arqué, suspendu, n'est-elle pas proche de l'extase ?

La plupart des dessins et sculptures composant l'œuvre de Françoise Vergier sont faits de ces contraires. De leur choc, de l'ambiguïté qui en résulte. On y décèle fragilité et force, fécondité et mort, souffrance, joie, évidence et mystère. La légèreté des perles et des feuillages voisine le tragique de l'histoire.
Chez cette artiste, l'Antiquité et la Renaissance se mêlent au monde contemporain, le corps des déesses grecques côtoie les têtes hiératiques à la Piero della Francesca et les coiffes protubérantes des portraits de Pisanello. La Vénus au soutien-gorge bleu a le ventre piétiné par un policier égyptien du XXI ème siècle.
L'œuvre de Françoise Vergier est ainsi à la fois intemporelle et inscrite dans le monde actuel. Cette coexistence des contraires se lit dans le choix des médiums. La créatrice utilise des matériaux hétérogènes, l'argile, le fusain, le pastel, dans leur matité, s'opposent à la brillance de l'émail, de la porcelaine ou du verre, sorte d'écho à l'éclat de l'œil.

Les couleurs sont souvent discrètes, voire sourdes, chez La Vergier, comme on l'appelerait en Italie. Mais aujourd'hui, dans les nouvelles créations exposées à Saint-Restitut pour la première fois, la plasticienne nous offre des couleurs vives, qui ne sont plus utilisées seules, par touches ou coulures (le bleu du soutien-gorge, des plumes ou des perles, le rouge barrant les cuisses de la Vénus ...) comme dans nombre de ses œuvres précédentes. La couleur s'étale, envahit l'espace, joyeuse, éclatante, vert vif, rose tyrien, orange, pourpre. La sève monte, le printemps explose dans sa magie.
Une œuvre majeure, la Déesse du printemps, splendide tête enturbannée, à l'arête du nez tranchée d'outre-mer et d'où jaillissent enchevêtrées mille tiges d'argent, symbolise cette renaissance. Renaissance de la nature dans son cycle éternel, bourgeons imaginaires et oiseaux bleus virevoltants autour du visage de la déesse. Renaissance de l'artiste qui a su puiser en elle, à travers les paysages immuables qui l'entourent et varient au gré des saisons, la force et le génie d'un renouvellement créatif.

© Adagp, Paris