Documentation et édition en art contemporain — Artistes visuels de la région Auvergne-Rhône-Alpes

Simon FEYDIEU

mise à jour le 28 Août 2019

Textes ci-dessous :

  • La sculpture par la tranche, Pierre Tillet, 2015
  • Avant Propos, Simon Feydieu, 2014
  • Les affinités sélectives de Simon Feydieu, Entretien avec Karen Tanguy, 2013

 

Autres textes en ligne :

 

 

 

 

La sculpture par la tranche
À propos des rapports entre art et architecture dans le travail de Simon Feydieu
Par Pierre Tillet, 2015

En 1936, cherchant à rendre compte des proximités entre peinture et architecture, Alfred H. Barr relie une peinture de Theo van Doesburg, Rythme d'une danse russe (1918) au plan de la Maison de campagne en briques de Ludwig Mies van der Rohe (1922). Cette célèbre comparaison repose sur une analogie formelle entre deux images élaborées à partir de segments peints ou dessinés, qui « ne fabriquent pas de figures géométriques closes » 1. À l'examen, le rapport établi par Barr ne s'avère pas pertinent. Tout d'abord, Mies van der Rohe s'est défendu d'avoir été influencé par van Doesburg. D'autre part, l'architecte recherchait une fluidité entre des espaces construits, ouverts (plutôt qu'une articulation entre des volumes clos), ce qui n'avait rien de commun avec la représentation schématique, inspirée de la danse, de l'artiste. Plus exemplaire des liens entre les deux domaines est l'Espace Proun réalisé par El Lissitzky en 1923 dans le cadre de la « Grande exposition de Berlin ». Cette boîte, dont les murs et le plafond étaient modifiés par des signes plastiques destinés à susciter le mouvement circulaire du spectateur, pouvait être regardée comme une « station d'aiguillage » 2 entre peinture, sculpture et architecture.

Jusqu'à une période récente, on connaissait notamment Simon Feydieu pour ses sculptures architecturées ou ses interventions modifiant la perception et les usages de l'espace d'exposition dans lequel elles prenaient place. Ainsi, Kom (2011) était une œuvre influencée par le Merzbau (1923-1943) de Kurt Schwitters, dont Feydieu reprenait le principe de la collecte puis de l'enfouissement d'objets sous des plans construits reflétant leur volumétrie. Auparavant, Bossanoïa (2010) apparaissait comme une cloison dont les carreaux de plâtre étaient scellés par des figues et des grappes de raisin 3. La chimie organique des fruits tranchait avec le caractère minéral des carreaux. Ils formaient une « mixture collante » 4, utile dans ce qui aurait été, sans cela, le montage à sec d'un matériau de construction. La cloison, quant à elle, fermait l'espace par une diagonale ne s'élevant pas jusqu'au plafond, ce qui était aussi une manière de rendre désirable la partie de la pièce devenue inaccessible (même si elle était de nature semblable au territoire occupé par le spectateur).

À la différence de Kom et de Bossanoïa, les neuf panneaux de la série Vairon conçue en 2015 5 n'entretiennent pas de relation avec le lieu de leur présentation. Avec cet ensemble, plutôt que de penser voire de déduire une œuvre de l'espace expositionnel, Feydieu focalise son attention sur un matériau de construction, le placoplâtre, pour faire des œuvres autonomes, ne dialoguant qu'entre elles. Chaque panneau de la série est un diptyque. Après avoir assemblé deux plaques distinctes, Feydieu pratique des incisions sur leur largeur, les convertissant en bas-reliefs et introduisant de l'unicité dans ces éléments standardisés. Ensuite, il accroche les panneaux au mur, ce qui incite à la regarder comme des peintures. Cette perception est renforcée par la présence d'un zip coloré à la jonction des plaques formant chaque diptyque, zip qui en souligne les différences de tons. En effet, selon la provenance géographique ou la chimie spécifique du plâtre, chaque diptyque présente deux surfaces plus ou moins claires, plus ou moins grises. Enfin, leur opticalité est accentuée par la présence de deux bandes verticales situées à leurs limites latérales, l'une du même ton que le zip, l'autre d'une couleur différente 6.

À l'instar de Vairon, les quatre œuvres constituant la série Babas Reliefs, exposée pour la première fois à l'INSA de Villeurbanne en 2016, mêlent architecture, peinture et sculpture. Le matériau employé est du polystyrène servant dans la construction à des fins d'isolation. Là aussi, deux panneaux constituent chaque œuvre, mais en un sens différent : cette fois, Feydieu les a juxtaposés dans la profondeur. Un Baba Relief se présente donc, dans un premier temps, comme une épaisse plaque de polystyrène. Trois des œuvres sont presque uniformément blanches, leur surface étant à peine parsemée de billes noires. L'une est noire, à l'exception de rares billes blanches. Étant fixés au mur, les panneaux acquièrent une valeur picturale, même s'ils sont laissés bruts et que rien d'autre ne se passe à leur surface que des accidents de noir sur du blanc, ou de blanc sur du noir. Il n'y a pas de signe artistique visible, pas d'image – à peine pense-t-on (ce qui a un intérêt en soit) à des paysages de neige synthétique ou à des flocons noirs.
Cependant, le spectateur ne peut manquer d'être intrigué par l'épaisseur des œuvres. Contournant leur surface, il a alors la surprise de découvrir, sur leur chant, des bas-reliefs géométriques et abstraits. Ce qui est donné à voir renvoie aux reliefs en ciment d'inspiration brutaliste présents sur certains murs du campus de l'INSA et de l'Université Lyon 1 contiguë. Par là, Feydieu fait entrer à l'intérieur d'un bâtiment des éléments d'un langage plastique visible à l'extérieur, éléments qui ne sont observables que de manière latérale sur ses œuvres.
Le fait est d'importance. Il rappelle la « latéralisation de l'événement pictural » 7 observable dans la série des wrap arounds de Jo Baer, soit un ensemble de vingt-cinq toiles réalisées par l'artiste américaine entre 1969 et 1974. Chaque œuvre, composée d'un seul élément ou diptyque, triptyque, voire polyptyque, se caractérise par une surface presque totalement blanche (ou gris clair). Chaque tableau a donc « l'apparence du vide » 8. Seuls les côtés gauches et droits sont marqués par une fine composition géométrique, qui est également visible sur le chant et qui se prolonge à l'envers des œuvres, comme le laisse supposer l'interruption du motif.
Évidemment, les wrap arounds de Baer sont fort éloignés des Babas Reliefs de Feydieu. Ces derniers ne sont pas des peintures, mais imbriquent peinture (l'intérêt de leur frontalité n'est pas nié), architecture (le polystyrène, matériau de construction) et sculpture. À ce mélange, à cette hybridation s'ajoute une opération qui a consisté, pour Feydieu, à enduire de ciment le polystyrène creusé. C'est là un geste contre-intuitif, voire anti-architectural : il est malaisé de trouver un intérêt constructif au fait de recouvrir une matière friable d'une autre qui est, au contraire, pérenne. Enfin, il est loisible de regarder la partie façonnée des Babas Reliefs comme des anti-cadres. On sait que le cadre a, en peinture, pour fonction de créer une zone intermédiaire, neutre, entre la représentation et le mur. Son rôle est aussi de dissimuler la matérialité du tableau, son caractère d'objet (une toile tendue sur un châssis). En sculptant le chant des plaques de polystyrène, Feydieu inverse la logique du cadre. Il ôte de la matière plutôt que d'en ajouter. Il souligne le lieu de la jonction entre l'œuvre et le mur. Il met en avant une matérialité paradoxale (du ciment sur du polystyrène). Il fait du chant de l'œuvre le lieu principal de l'événement artistique. On pourrait voir là une inversion du rapport classique, en peinture, entre fond et forme. Ici, la forme n'est pas ce qui émerge du fond, elle est ce qui apparaît sur les tranches, de part et d'autre de la surface. Comme si chaque Baba Relief était une découpe dans la profondeur, une tranche de l'un des reliefs éparpillés sur le campus.


1. Jacques Lucan, Composition et non composition. Architecture et théories, XIXe-XXe siècles, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, p. 391.
2. Selon le mot fameux d'El Lissitzky traduit par Yve-Alain Bois dans « De -∞ à 0 à +∞. L'axonométrie ou le paradigme mathématique de Lissitzky », dans Y.-A. Bois, Jan Debbaut, Selim Omarovic et al., El Lissitzky (1890-1914). Architecte, peintre, photographe, typographe, cat. d'expo., Stedelijk Van Abbemuseum, Eindhoven, Fundacion Caja de pensiones, Madrid, Musée d'art moderne de la Ville de Paris/ARC, Eindhoven/Paris, Stedelijk Van Abbemuseum/Paris-musées, 1991, p. 37.
3. L'œuvre, présentée pour la première fois au centre d'art Néon (Lyon), est réactivable selon un protocole décrit par l'artiste dans Simon Feydieu, Fabien Pinaroli, Le livre noir, Stuttgart/Lyon, Institut français de Stuttgart/Adera, 2014, p. 18 (désignée par la lettre « r »).
4. Ibid.
5. Cette série a été présentée au Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole lors de l'exposition « Global Line 18 ».
6. Les couleurs du « zip » et des bandes latérales ne sont pas arbitraires : elles correspondent aux codes employés pour désigner la fonction des plaques (ignifuge, hydrofuge, servant d'isolant phonique, etc.).
7. Michel Gauthier, « La diagonale du fond. À propos des Unfurled Paintings de Morris Louis », Les Cahiers du Musée national d'art moderne, no 60, été 1997, p. 36.
8. Ibid.



 

 

 

Avant Propos
Simon Feydieu, 2014

En tant que sculpteur, je prends comme postulat que l'architecture préexiste à l'œuvre. Ainsi mes sculptures reposent sur des protocoles de fabrication qui s'adaptent aux particularités de l'espace qu'elles investissent. Dans une affiliation à un art pauvre, plantes, fruits, objets trouvés, œuvres empruntées, viennent interagir avec des matières premières. Ces éléments me permettent de rendre visible l'élaboration de l'œuvre.

L'architectonique et la chimie du bâtiment rencontrent des pratiques domestiques (jardinage, cuisine, couture, animalerie). C'est tout le prisme de l'habitat, du gros-œuvre à la décoration, que je convoque en associant des techniques appartenant à des corps de métiers distincts.

J'emprunte également dans mes collages des œuvres d'artistes de ma génération comme autant de collections éphémères, me refusant une iconographie propre, restant dans l'optique de travailler sur des associations et des agencements éphémères.

Toutes les œuvres nécessitent d'être entretenues ou reproduites à chaque exposition. Elles sont de dimensions ou de contenus variables, reposant essentiellement sur un processus de collecte et de construction. Dans l'optique de privilégier le processus de réalisation par rapport à une forme figée et d'anticiper les problématiques de conservation et de réactivation concomitantes, une sélection de mes œuvres a fait l'objet d'une rédaction de protocoles, proches de certificats ou de modes d'emploi, qui sont réunis dans l'ouvrage monographique Livre noir, paru aux éditions ADÉRA, en partenariat avec l'Institut français de Stuttgart. Ce catalogue est sans image.

Depuis quelques mois, je privilégie des matériaux malléables à des protocoles reproductibles. Je suis devenu plus attentif aux propriétés chimiques et architectoniques des éléments qu'aux spécificités des sites où je les collecte. Mes œuvres récentes ne sont donc plus éphémères, bien qu'elles restent de dimensions variables.




 

 

 


Les affinités sélectives de Simon Feydieu
Entretien avec Karen Tanguy
In ZéroQuatre n°12, printemps 2013

Karen Tanguy : Vous faites souvent usage de matériaux qui relèvent du domaine de la construction (plâtre, tubes pvc, carrelage...), mais vous précisez vouloir accentuer davantage le côté domestique que le côté monumental, par l'introduction d'éléments organiques. Le mortier du mur Bossanoïa est par exemple constitué de fruits qui scellent entre eux les carreaux de plâtre. Vous privilégiez « des agencements empiriques et provisoires à des formes définitives et immuables », c'est pourquoi vous avez présenté ce mur à quatre reprises mais toujours dans des configurations différentes : les fruits sont choisis en fonction des saisons et les dimensions du mur sont à chaque fois étudiées selon l'espace donné.

Simon Feydieu : L'in situ entretient un rapport de concurrence et de domestication à l'espace. Si j'introduis des notions d'architectonique et de résistance des matériaux dans mes sculptures, mes œuvres sont plus liées à l'adaptabilité à un espace qu'à une mise en concurrence d'échelle avec celui-ci. Ce qui m'intéresse dans la standardisation de ces matériaux que j'emploie fréquemment, c'est leur capacité à s'adapter à n'importe quelle échelle de réalisation. D'autre part, ils sont faussement génériques car leur design et leur chimie peuvent varier selon les pays.
Dans un deuxième temps, le scellement des fruits gorgés d'eau et de sucre avec le plâtre contribue à la cohésion du mur. Ce caractère ornemental est indissociable du processus de construction. Le choix et la collecte des fruits font office de datation saisonnière de l'œuvre.
Cela peut aussi être une contrainte restrictive à sa réactivation. Mes protocoles de construction pointent certaines typologies d'objets selon des qualités matérielles qui ne leur sont pas nécessairement exclusives. Un peu comme un cocktail. De dimensions et de composants variables, chaque œuvre s'adapte au lieu d'accueil, embrassant un contexte large (temporalité de l'exposition, typologie de l'espace...).

K.T. Kom, d'une dimension architectonique très prégnante, est une réactivation du Merzbau de Schwitters (1). À première vue, le visiteur se trouve devant un mur monumental gris quelque peu déstructuré. Une fois derrière, il s'aperçoit que ce mur est constitué d'objets tels des éviers, des chaises, des réfrigérateurs que vous avez collectés au préalable dans les rues de Saint-Étienne. Votre démarche pourrait s'assimiler à du bricolage, au sens induit par Lévi-Strauss, où « la règle de son enjeu est de toujours s'arranger avec les “moyens du bord” (2) ».

S.F. Le concept de « Merz » (collecte de fragments hétéroclites réunis sous forme de collage ou d'assemblage) initié par Schwitters pourrait s'appliquer à la plupart de mes travaux. En dévoyant l'usage des objets et des matériaux, je leur trouve de nouvelles relations, des propriétés insoupçonnées. Ce qui me plaît dans le concept de « bricolage », c'est son caractère empirique : que la tâche relève ou non d'un savoir-faire spécifique, il s'agit de l'exécuter avec la justesse de son économie présente. Bien que non anticipée, l'improvisation, au contraire de l'accident, est un acte responsable et conscient.

K.T. Vos matières premières peuvent tout aussi bien être des œuvres d'art. Pour Kuss (d'après Modèle d'exposition de Caroline Molusson), vous vous appropriez l'œuvre de Caroline Molusson et la dupliquez en son sein à une échelle légèrement inférieure et avec des matériaux différents. À l'inverse de Sherrie Levine qui s'empare de travaux d'artistes de générations antérieures, vous travaillez avec des productions d'artistes de votre génération. De plus, dans ce cas précis, votre œuvre n'existe plus sans la pièce de Caroline Molusson à ses côtés. Elle est à la fois un parasite et une imitatio (3).

S.F. Je ne recherche ni l'écart ni la perfectibilité dans la copie. La figure copiée n'a pas nécessairement besoin de faire autorité mais on constate qu'elle est souvent choisie plus pour ce qu'elle représente que pour ce qu'elle est. Pour moi, il n'est d'ailleurs pas question de reproduire mais de travailler avec l'œuvre concrète. Pour Kuss (le baiser, en allemand), il s'agissait de dupliquer une figure et de les faire s'interpénétrer.

Par extension de l'axiome « les ready-mades appartiennent à tout le monde » de Philippe Thomas, je considère que les œuvres, qui sont ponctuellement à ma disposition, sont des matériaux plus économiques que certaines matières premières. Mes premiers collages avaient pour support des œuvres empruntées à une artothèque. Paradoxalement, il s'avère plus économique d'utiliser une œuvre encadrée que d'acheter un cadre. Pour moi, les œuvres d'art sont des matériaux ou des marchandises comme les autres : l'artiste n'est pas propriétaire de son œuvre et ce dans les deux sens du terme. Il y a toujours cette ambivalence de profiter et de promouvoir.

K.T. Vous prenez donc la liberté de disposer d'œuvres d'artistes pour construire des pièces sous votre nom. Dans la perspective de votre seconde exposition personnelle chez Ilka Bree à Bordeaux en 2011, vous avez prospecté dans la réserve de la galerie pour élaborer Sans titre (2011) (4). Sa temporalité est très limitée car elle n'existe que dans le temps de l'exposition. Il n'y a donc qu'un pas de la collecte à la collection. Vous explorez à nouveau la sphère domestique par le biais d'une collection privée éphémère constituée selon vos affinités. C'est peut-être dans ce sens que vous vous définissez comme un « opérateur de l'art (5) » ?

S.F. La collection est intrinsèquement liée à la notion de propriété. C'est l'acquisition, et non l'emprunt, qui valide une collection. D'autant plus qu'en France, les collections publiques sont inaliénables. Dans la sphère domestique, les collections privées, plus fluctuantes, sont pour moi le lieu d'exercice d'associations concrètes et décomplexées.
C'est sans doute le fait de commencer à avoir des œuvres dans mon appartement qui m'amène à étendre mes agencements d'œuvres dans des compositions plus complexes. Un peu comme avec les fruits de saison, je cultive des contraintes restrictives à la réactivation de nombre de mes pièces. Il est peu aisé d'avoir l'accord des artistes ainsi que les œuvres à disposition sur demande. Mes sélections ne sont jamais laborieuses : cela doit rester intuitif, basé sur des associations libres et sur un fonds d'œuvres déterminé, un contexte restreint et local de sélection.
Quant au terme d'opérateur, il reflète bien la multiplication de mes activités dans le champ de l'art. On a tendance à croire que l'artiste est un maillon privilégié et nécessaire à la machine exposition, ce dont je doute aujourd'hui. Je pense que la multiplication des opérateurs (administratifs, économiques, critiques et techniques) minore la marge de participation de l'artiste au sens de celui qui produit l'objet de l'exposition. J'apprécie donc d'enrichir mon travail en incorporant des compétences qui relèvent d'autres opérateurs du milieu de l'art.
Un des gestes les plus manifestes est celui d'Haim Steinbach : la valeur qu'il confère à ses sculptures est la somme au cent près des objets achetés qui les constituent, plus la cote objective de l'artiste. C'est dans ces termes que je conçois la transaction de mes assemblages. Ce qui est comique est que la valeur de l'œuvre devient ridiculement élevée et que je suis censé revendiquer une commission. Je deviens un nouvel intermédiaire. Cela peut évoquer certains écrits sur l'art de Baudelaire, où celui-ci, motivé par l'intéressement pécuniaire, proclamait la nécessité du critique, statut alors informel et officieux, pour conseiller l'acheteur.

K.T. Ces assemblages d'œuvres, comme Sans titre (2011), relèvent donc de l'association libre (6). Cette démarche, couplée avec vos activités de commissaire d'exposition, n'est pas si éloignée de  « l'iconologie des intervalles » d'Aby Warburg : « une iconologie qui porterait non sur la signification des figures [...] mais sur les relations que ces figures entretiennent entre elles dans un dispositif visuel autonome (7) ».

S.F. C'est suite à des exercices récurrents d'accrochage d'œuvres sur un même mur en qualité de monteur d'exposition que je me suis mis à initier la sélection d'œuvres et leur agencement. Je me suis interrogé sur la désignation du diptyque et par extension, de tout polyptique. Deux œuvres se jouxtant sur un mur ? Du même auteur ? Auteur de leur production ou de leur réunion ?
Chaque ensemble est comme la maquette inaltérable d'une exposition en puissance. La concentration des œuvres et leur agencement leur donnent la qualité d'un objet plus que d'un espace, d'une œuvre plus que d'une exposition, bien que l'on puisse y projeter des compétences relevant du collectionneur ou du commissaire (sélection, réunion et organisation d'un ensemble d'œuvres).
Il y a quelques années, j'ai eu la chance de feuilleter une édition épuisée de Mnemosyne-Atlas d'Aby Warburg. Ces associations de documents et de reproductions d'œuvres dépourvus d'annotations textuelles ont été décisives. Malgré la clarté du dispositif (série de panneaux noirs numérotés et de même format), on prend plaisir à se perdre dans la circulation et la contemplation des images. Ce principe d'association et de combinaison pour créer un sens nouveau est d'ailleurs l'un des piliers de la postmodernité.

 


1. Produit lors de Salon d'Automne (remix), L'assaut de la menuiserie, Saint-Étienne, 2011.
2. Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1960, p 27.
3. L'imitatio était une pratique très répandue dans les Académies des beaux-arts pour que l'élève se perfectionne dans sa technique mais elle était aussi une forme d'hommage.
4. Sans titre (2011) conjugue des pièces de Leopold Landrichter, Anna Kleberg, Caroline Molusson, Jean-Alain Corre & Pierre Bonnouvrier et de Simon Feydieu.
5. Terme mis en exergue par Yoon Ja & Paul Devautour, eux-mêmes connus pour leur fameuse collection.
6. Sans titre (2011) réunit un double autoportrait de Rodney Graham, une reproduction d'une illustration du lapin d'Alice aux Pays des Merveilles de John Tudell et un extrait du tapuscrit Poisson d'argent, d'Orion Scohy.
7. Philippe-Alain Michaud, Aby Warburg et l'image en mouvement, Paris, Éditions Macula, 2012 (3e édition), p. 321.