Documentation et édition en art contemporain — Artistes visuels de la région Auvergne-Rhône-Alpes

Guillaume JANOT

créé le 02 Février 2022

Textes ci-dessous :

  • Janot chercheur d'image, Gilles Verneret, 2018
  • Entretien avec François Piron, extrait, in Roses and Guns, 2006

 

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Janot chercheur d'image, Gilles Verneret, 2018

 

À la fin du siècle dernier, en même temps que les chercheurs d'or partaient autour du monde, de curieux hommes chargés de grosses boites en bois, nommées chambres noires, recherchaient les pépites visuelles dans les contrées les plus reculées, les plus inconnues, les plus éloignées de la lumière des métropoles. Cette rareté du cliché saisi dans l'argent brûlait les yeux de ces photographes, comme on les nomma, pendant que les premiers omnubilés par leur métal précieux convoitaient la richesse brillante de l'or.


Guillaume Janot fait penser à ces pionniers du bout du monde, lui aussi arpente les territoires lointains à la recherche d'images. Mais la différence est qu'il arrive après le déferlement de communication du vingtième siècle, avec son cortège infini de photographies sur papier glacé ou d'images animées sur des écrans télévisuels et cinématographiques. Chacune d'elles impliquant qu'elle transporte déjà en elle-même d'autres images archétypiques, compagnons d'imaginaire qui ont nourri et nourrissent les hommes.


Et Janot s'affronte vaillamment à cette quête de l'image générique, originelle, porteuse ou non de référents symboliques et historiques, bien conscient de cette presque impossibilité, parce que chaque image délivre à sa surface ces signes qui la contextualisent dans son époque, son esthétique et son histoire. Car dans son cas on comprend que cette approche spécifique à vocation style documentaire, est à ses yeux consubstantielle à celle de la notion d'auteur ; là où la vision subjective s'allie à la conscience politique dans une incarnation à la fois poétique et analytique. Une grande majorité d'artistes contemporains craignent cette incarnation de l'art dans l'histoire, se réfugiant dans des formes abstraites, sèches et vides qui ne renvoient qu'à leurs représentations propres, uniquement supportées par un discours conceptuel. Guillaume Janot échappe à ce piège, continuant son périple dans les codes de l'image, qu'il croise au gré de ses voyages. Il ne s'arrête jamais uniquement à des thématiques d'ordre directement sociologiques ou historiciennes. C'est une double lecture permanente, parfois cette fausse innocence des photographies, de prime abord, qui le fascine ; mais est-elle encore possible, encore plus pour lui qui n'est pas dupe des signifiés de ses images ?


Et quand il constitue ultérieurement son editing, il compose tel un musicien son œuvre artefact, élaborant et réinventant les articulations déjà présentes spontanément au moment de la prise de vue, recroisant ses préoccupations antérieures intuitives. Ainsi, chacune de ses photographies délivre-t-elle son secret, qui renvoie à d'autres secrets et à d'autres photographies que le voyageur extérieur interprétera différemment selon sa vision propre.



 

Vaches, pigeons, touristes, guerres et folklores de la vieille Europe : une conversation entre Guillaume Janot et François Piron, in Roses and Guns, Éditions Filigranes, 2006 (extrait)

 

Guillaume Janot : Ce livre a pour colonne vertébrale un ensemble d'images que j'ai réalisé dans le cadre d'un projet itinérant en Europe, suite à une bourse de la Villa Médicis hors les murs.

J'y poursuis mon travail, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une circulation dans les codes culturels, et pas du tout d'un rapport au paysage, ni à une géographie de l'Europe.

 

François Piron : Ce n'est pas une dérive en Europe, mais une focalisation sur des lieux très précis, et parmi eux, certains extrêmement emblématiques, en tant que signes, dont paradoxalement nous n'avons pas de représentation en image. De Berchtesgaden, par exemple, le nid d'aigle de Hitler, il n'y a pas de représentation qui se soit imposée dans l'imaginaire collectif, pas davantage que de la place à Munich où Hitler a fait ses premiers discours.
Parfois, au contraire, tu photographies des lieux dont on a une représentation complètement figée, comme par exemple la photographie de couverture qui montre un point de vue différent du passage piétons d'Abbey Road ; de ce lieu, on ne connaît qu'une image, celle de l'album des Beatles, qui affaiblit sa réalité en tant que lieu. Donc des lieux dont on n'a pas d'image, ou des lieux dont on a tellement connaissance par l'image qu'ils disparaissent comme lieux.

 

G.J. : Mon but ne consiste pas à pallier des déficits de représentation, car que ce soit pour Berchtesgaden ou Abbey Road, il s'agit d'une approche des lieux par défaut. J'ai réalisé à Berchtesgaden toute une série d'images en tournant autour de la résidence d'été d'Hitler, sans qu'elle soit jamais visible, avec un traitement qui en donne une image extrêmement séduisante, pittoresque, pleine de sérénité, presque de l'ordre de la carte postale.

On connaît la pochette de disque des Beatles, ou les images d'archives d'Hitler avec Eva Braun sur la terrasse de cette maison. Dans les deux cas, ce que je produis, c'est plutôt l'image d'à côté.

 

F.P. : S'il ne s'agit pas pour toi de photographier des paysages, comment considères-tu ces espaces ? comme des figures ? comme des signes relevant de l'histoire culturelle ? C'est vrai que ces lieux sont iconiques, et appartiennent à un paysage avant tout culturel.

 

G.J. : Oui, l'icône est présupposée, et je n'opère pas une vérification ou un retour sur le terrain pour comparer des représentations. Il s'agit pour moi de réactiver des icônes pour les déplacer. La série réalisée à Belfast, qui introduit le livre, consistait à aborder frontalement la question du conflit entre catholiques et protestants, avec tout ce qu'on en connaît, les frontières entre les quartiers, les signes d'appartenance qui sont visibles sur ces territoires... Les couleurs des drapeaux anglais et irlandais sont peints sur différents éléments de l'espace urbain, pour définir respectivement les quartiers protestants et catholiques. Le passage au noir et blanc, avec ses valeurs de gris, ne permet plus de définir ces territoires de manière précise. La série montre ce territoire surcodé, sursignifié, surdéfini, en le neutralisant complètement.

 

F.P. : Est-ce une manière de dire, dans ce cas-là spécifiquement : je ne suis pas là pour informer ?

 

G.J. : C'est même exactement le contraire. Je veux m'approprier ces territoires en tant que signes, et effectuer un voyage dans l'image, me promener dans les codes de l'image, plutôt que de rendre compte encore une fois de ce que l'on connaît déjà.

 

F.P. : C'est en ce sens la continuité du travail que tu as fait jusqu'à présent. C'est-à-dire une ambivalence entre l'idée de produire une image comme production subjective, et en même temps la conscience de l'image comme fait social et comme déjà-là, déjà-vu.

 

G.J. : On entend souvent dire que tout a été photographié, que la photographie participe aussi de cette notion de postmodernisme où on ne peut plus vraiment proposer de nouvelles formes mais plutôt une sorte de recyclage, pour dire ça de manière très large et synthétique.
Prenons par exemple la photographie de la vache qui est une référence directe à la pochette de l'album Atom Heart Mother de Pink Floyd : il est pour moi évident qu'avec la photographie, on ne peut jamais être dans le remake, ni dans le plagiat. On tourne toujours autour de ça, mais en produisant quand même une nouvelle image. Dans les images collectives, il y a des choses qui nous habitent, des choses que l'on peut reconnaître très facilement, éternellement ressassées, comme les couchers de soleil ; mais il ne s'agit jamais de plagiat, car, aussi proche soit-elle du référent, de l'image de départ, une image réalisée sera une image originale quand même. La photographie est assez fascinante pour cela justement. [...]