Documentation et édition en art contemporain — Artistes visuels de la région Auvergne-Rhône-Alpes

Nicolas MOMEIN

créé le 04 Septembre 2013

Textes ci-dessous :

  • Pas de côté, François Durif, 2014
  • Débords, Patrice Joly, 2014
  • Nicolas Momein : des sculptures par exemple, Julie Portier, 2014
  • La forme quoi, Vincent Labaume, 2012 (extrait)


Autres textes en ligne :

  • Des images du primat de la matière, Texte de Marie-José Muller-Llorca, en regard de l'exposition Topknots de Nicolas Momein, Villa du Parc, Centre d'art contemporain, Annemasse, 2017

 




PAS DE CÔTÉ

Par François Durif, 2014

Travailler par affinités, se rendre poreux au travail de l'autre, à l'économie de temps qui lui est propre, c'est la position que Nicolas Momein a précisée lors de sa résidence à La Galerie de Noisy-le-Sec, en sortant de son atelier et en choisissant de travailler avec des artisans de la région parisienne : Frédéric Vigy, menuisier métallique à Montreuil, des employés de la société Montreuil Epoxy, Stéphanie Léger du service des espaces verts à Noisy-le-Sec, l'atelier de découpe de bois Les fils de J. George à Bagnolet.
Quand les attitudes deviennent formes (1), quand les formes résultent de l'enregistrement de gestes prélevés sur place, en connivence avec ceux qui les produisent et les offrent au regard de celui qui est venu les surprendre dans leur environnement de travail – là où ils passent plus de temps que chez eux.

Terrain trouvé, vient l'opération déplacement. (2) Oui, c'est bel et bien un déplacement quant à sa pratique d'atelier que Nicolas Momein a opéré, en prenant le temps d'entrer en contact avec les personnes qui acceptent le protocole qu'il met en place, puis en observant le travail de chacun avant de se décider à faire quelque chose de ce qui se joue entre les deux. Faire quelque chose du temps compté qui s'insinue entre les deux, faire quelque chose de la confiance que l'artisan lui témoigne. Façon de mettre au jour l'intelligence à l'œuvre dans le procès de production. Et le travail lui-même prend alors la parole. (3)
Une fois le processus enclenché, il n'y a qu'à laisser faire, à laisser venir les gestes. Il s'agit autant d'un travail de relevé que d'un art de la discrétion : glisser subrepticement des êtres et des choses vers les relations qu'ils produisent. En quelque sorte un nouvel amour des apparences sans qu'il n'y ait rien en dessous d'elles qui apparaisse. (4) 

Oui, c'est cela qui retient le regardeur quand il est confronté au travail de Nicolas Momein : une attention aux couches de temps dont chaque objet est fait, qu'il emmagasine et restitue en donnant à voir les aspérités, les accidents de la surface qui garde l'empreinte d'un geste soudain ou d'une action répétée sur la durée. Quand il prélève des objets tels des consommables, que ce soient des savons dont la forme est réduite au dernier moment par le moule qui les expulse un à un, ou des pierres de sel que les vaches lèchent consciencieusement dans les champs, il opère à chaque fois un micro-déplacement qui contraint la forme à se montrer telle qu'elle est, dans sa fragilité et son unicité. Un produit manufacturé qui devient aussi bien un ready-made légèrement modifié qu'une pièce unique, un morceau de temps sédimenté.
Par l'acuité de son regard et sa formation polytechnique, Nicolas Momein fait apparaître une invasion de qualités sécrétées par l'objet lui-même. Car si deux formes dans un même moule diffèrent entre elles d'une valeur séparative infra mince, comme nous a appris à le voir Marcel Duchamp, une fois jeté dans le monde, l'objet pâtit de ses différents usages, le temps agit sur lui, il se consume sous nos yeux, sauf si le processus de dislocation-dissolution est interrompu par l'artiste.
De cette attention aux objets les plus ordinaires, Nicolas Momein fait son trésor de formes, en se tenant à une économie de gestes. Ensuite, il ne lui reste plus qu'à disposer ces objets devant lui, sur une planche à hauteur du regard, ou bien au sol, jusqu'à ce que chacun génère son propre espace autour de lui, jusqu'à ce que chacun jubile de se voir ainsi mis à nu.

Dans la galerie WhiteProjects, le plancher dès l'entrée est recouvert de rectangles de verre feuilleté découpés dans des pare-brises, puis accolés, sur lesquels le visiteur marche plus lentement, en se regardant marcher, en contournant des formes géométriques posées à même le sol. Des obstacles qui, par leur échelle et le geste du tapissier qui les a recouverts de serviette-éponge, les rendent aussitôt familiers : objets réparés avec les moyens du bord, domestiqués par l'action du corps.
Quant aux pantoufles emboîtées l'une dans l'autre, elles sont cousues de telle sorte à former un fossile arrêté dans son élan. Un pas de plus pour se perdre et l'on se trouve. (5)
Tandis qu'il avance dans la galerie en tâtant le terrain avec ses pieds bien chaussés et ses semelles qui grincent, apparaît devant lui une écriture de savons ciselés, alignés sur une planche qui les présente tels des trophées, des objets de collection. Il s'interroge alors sur l'auteur comme producteur, se pose un tas de questions – des questions bien trop compliquées devant des objets si désarmés.
En même temps, il se sent regardé, son sens de l'humour est convoqué. Il respire à nouveau, l'air circule entre les objets. Il se sent enfin chez lui, le terrain n'est pas miné. L'artiste ne cherche pas ici à l'impressionner avec des bibelots clinquants, qui transpirent le savoir-faire et l'habileté de mains expertes en choses de l'art.
Quand il découvre les titres des œuvres, alors là, il est carrément rassuré sur les intentions de l'auteur qui ne s'encombre pas d'un esprit de sérieux et semble manier les mots avec autant de légèreté que ses objets faits main. Au fond de lui, quelque chose jubile, il s'autoriserait presque à sautiller. Il ne sait pas qui remercier. Il se tourne alors vers la galeriste, en ne cherchant pas trop ses mots, en lui faisant part de son énergie recouvrée.
Il retient facilement le nom de l'artiste, se promet de le rencontrer un jour, de lui écrire une lettre, tel un novice au pays des pantoufles encoquillées et des savons érigés en grenades inoffensives. Il sort de la galerie plus léger qu'il n'est entré, comme réconcilié avec lui-même et le monde extérieur.
Comme quoi, se dit-il, il ne faut pas désespérer du monde de l'art : la rencontre avec l'œuvre d'un artiste est toujours possible. Sur le chemin du retour, il reprend à son compte le titre de l'exposition et joue avec : Sacré géranium, ah oui, sacré géranium, ça sent bon l'artiste émergent posé là comme un géranium dans les allées surexposées de l'art contemporain.

Quand un artiste rencontre un autre artiste, qu'est-ce qu'ils se racontent ? Eh bien, pas forcément des histoires d'artiste, mais plutôt ce qu'ils font à côté, leur pas de côté et leurs essais hors du monde de l'art, là où ils puisent l'énergie du faire et du défaire. Et celui qui parle le plus n'est pas celui qui fait, et celui qui fait le plus n'est pas celui qui parle. En revanche, celui qui fait le moins et agit en dessous de sa puissance ouvre une brèche, tandis que celui qui se fait mousser par la parole aurait tout intérêt à résister à la pression du tout dire, du tout expliquer. Aussi ce que l'artiste fait de mieux est-il le plus souvent ce qu'il fait sans effort, quand la fatigue disparaît dans le geste, quand la parole est donnée à l'objet. L'artiste gagne à se faire discret.

1. Quand les attitudes deviennent formes, Harald Szeemann, Kunsthalle de Bern, 1969
2. Terrain trouvé, vient l'opération déplacement, Henri Michaux, Émergences-Résurgences, éditions Albert Skira, 1972
3. L'auteur comme producteur, Walter Benjamin in Essais sur Brecht, La fabrique éditions, 2003
4. La discrétion ou l'art de disparaître, Pierre Zaoui, éditions Autrement, 2013
5. Un pas de plus pour se perdre et l'on se trouve, Francis Ponge





DÉBORDS
Par Patrice Joly
Pour l'exposition de Nicolas Momein à Zoo galerie, Nantes, 2014

Nicolas Momein est-il un sculpteur classique ? La contemplation d'incomplete closed cube, œuvre composée de neuf blocs de sel sculptés selon un protocole qui associe contrainte et systématicité, pourrait parfaitement valider cette hypothèse. Hormis le matériau pour le moins inhabituel, le procédé correspond assez bien à celui d'une démarche classique qui consiste en l'acte répétitif de soustraire de la matière (bois, marbre, pierre) jusqu'à l'obtention de la forme souhaitée. Bien sûr, cette tentative de classification attire la critique. La sculpture, si elle s'est vue radicalement poussée dans ses retranchements ontologiques depuis le début du XXe siècle et l'irruption de la révolution duchampienne, conserve cependant certains critères a minima qui font qu'une œuvre appartient ou non à son champ : parmi ceux-ci, la nécessité de l'action de la main (outillée ou pas) sur une masse plus ou moins informe, ou encore l'assemblage de matériaux divers. Ici, on se trouve devant une situation radicalement autre : aucune intervention de la main de l'artiste n'est requise dans l'exécution de ces œuvres, toutes réalisées via le « léchage » appliqué des blocs de sel par des animaux, des vaches en l'occurrence. Certes, on pourra toujours rétorquer qu'il s'agit d'un détournement parmi d'autres d'une action réflexe et nourricière à des fins artistiques à l'heure où se multiplient les substitutions des gestes des artistes sur la matière, mais cela ne suffira pas à qualifier Nicolas Momein de sculpteur authentique. Pour autant, la présence des bovins n'est pas anodine dans l'œuvre de ce dernier, elle correspond à une véritable attirance pour le monde animal, du moins sa frange domestiquée, celle avec laquelle nous, humains, entretenons les rapports les plus ambigus.

La série de sculptures présentée à Zoo galerie fait cependant référence au monde animal en tant qu'il renvoie à un milieu mal connu, le monde rural, que l'artiste a côtoyé enfant. Au souvenir ludique de la fréquentation de ces bizarres engins agricoles a succédé un intérêt purement plastique pour des formes non immédiatement identifiables : ces travails à ferrer, ces vêleuses, sont composés d'étranges armatures en métal dont la suppression des liens souples rend le fonctionnement encore plus abstrait. L'on pourrait supposer ces machines destinées à torturer les bestiaux jusqu'au moment où ces attelages improbables se révèlent être conçus pour aider les vaches à donner naissance à leur progéniture, les bœufs à se faire mettre des fers aux sabots, au final, pour leur rendre la vie plus douce, révélant l'ambiguïté fondamentale de nos rapports à l'animal, entre empathie et tropisme carnivore.

Nicolas Momein a retrouvé ces objets auprès de paysans du Puy-de-Dôme, son territoire de prédilection, avant de les photographier et de chercher à les reproduire à l'identique, de manière purement empirique. Il s'ensuit des formes inédites dont l'étrangeté provient de la difficulté à leur assigner un quelconque usage dans le réel. Ce faisant, l'artiste tente de redessiner un paysage familier dont le souvenir se heurte aux imperfections de la mémoire. Il témoigne de la réalité d'un monde en pleine mutation dont les frontières s'estompent de plus en plus pour laisser place à une nouvelle identité post rurale, se réappropriant les gestes de l'artisan dont il copie la précision et l'intensité mais en en détournant la finalité pour introduire les objets ainsi créés dans le monde de l'art.

Les bovistop sont des obstacles posés à même le sol qui empêchent les bovins de s'échapper ; ces barrières « invisibles » à l'apparence de readymades qu'ils ne sont pas - l'artiste les ayant refabriqués - complètent le tableau d'une pratique n'hésitant pas à investir des territoires « marginaux » afin de servir des desseins artistiques. La symbolique de ces œuvres est d'autant plus forte qu'elle est complexe, ouvrant le paysage à l'infini sur un monde mutant où des campagnes industrialisées jouxtent des cités végétalisées...






NICOLAS MOMEIN : DES SCULPTURES PAR EXEMPLE
Par Julie Portier
In Le Quotidien de l'Art, n° 605, 16 mai 2014

Nicolas Momein (né en 1980) a participé au Salon de Montrouge en 2012. Après des études d'art et de design (à l'ESAD de Saint-Étienne et à la HEAD à Genève), il associe ces deux approches dans une pratique vivifiante de la sculpture. Cet hiver, il exposait des sculptures à poils au centre d'art contemporain de Genève et ce printemps, à la Zoo Galerie à Nantes, des structures abruptes en fer noir, toutes aussi suspectes sous leur alibi d'abstractions. Représenté par la galerie White Project à Paris, il vient d'achever une résidence au centre d'art La Galerie à Noisy-le-Sec.

Du ready-made à la production déléguée et à l'aplatissement des ontologies distinguant la sculpture d'autres objets d'ameublement, le XXe siècle n'a pas épargné le mythe de l'œuvre d'art en ronde-bosse. Tant mieux. Nicolas Momein poursuit le travail, avec délicatesse et poésie, en ne cédant rien de l'exigence formelle. Ce dernier pousse la logique de délégation du faire instaurée à l'ère conceptuelle, en confiant une grande part de responsabilité au professionnel "exécutant". C'est dans ce sens qu'ont été menées les expériences de collaboration pendant sa résidence à Noisy-le-Sec. Il en résulte, entre autres, une étonnante sculpture tubulaire et coudée, pure expression graphique née de l'intuition du serrurier Frédéric Vigy, où l'artiste n'intervient que par un nappage en plastiline (Sculpture par exemple).
Le détournement de l'outil de travail est politique, autant que la symbolique de l'échange des rôles (le livre de chevet de l'artiste n'est autre que L'Établi de Robert Linhart, qui, à l'exemple d'autres intellectuels français, s'est fait embaucher comme manœuvre dans une usine en 1967). Mais il s'agit d'entailler plus profond le régime de valeur qui distinguerait encore le travail artistique d'une autre activité et le geste de l'artiste d'un autre producteur. Car la définition de l'acte sculptural restera la question fondamentale. Elle n'échappe pas à la malice de l'artiste qui a distribué des savonnettes Provendi en protégeant la moitié sous une coquille. Ainsi les formes de la série Efficace résultent-elles d'une usure par la main (et d'un usage hygiénique), tandis que la partie "manufacturée" demeure intacte. La série en pierre de sel Incomplete close cube, Aliboron l'a digéré suit le même protocole, à la différence que le "geste motif" - comme le nomme l'artiste - répété dans le temps, peu conscient de sa valeur sculpturale, est délégué à un troupeau de vaches. Là où séduit la douceur du modelé creusant le cube minimal blanc, la trace silencieuse de langue bovine pourrait faire la leçon aux professionnels du langage, en particulier les exégètes de l'art. Car l'absurdité renferme là aussi une tension critique, pointant dans une même interrogation existentielle et faussement naïve les systèmes de production, la domestication de l'animal et la place du corps dans tout cela.
Les armatures légèrement inquiétantes, présentées dans l'exposition Débords à Nantes, reproduisaient à échelle humaine des appareillages adaptés aux soins et au parcage du bétail, auxquels s'ajoutait un portique pour balançoires. Les édicules lainés sont de petites architectures pleines inspirées du mobilier urbain comme retourné sur lui-même. Par leurs rondeurs et le pelage en laine de roche projetée, ils attirent tout en rejetant le corps à l'extérieur. La friction des volumes, des échelles et des textures, pimentée par le souvenir de leur fonctionnalité, est à l'œuvre dans les sculptures façonnées presque quotidiennement dans l'atelier. Cette science se retrouve dans la sculpture mélancolique exposée en ce moment à Marseille (1), Il pleut c'est tout ce qu'il sait faire, dont l'ambiguïté délicieuse retient la leçon d'un Richard Artschwager. C'est une impossible véranda composée de pare-brises brisés, surmontée d'un linteau recouvert d'une nappe bulgomme (anti-tache).

(1) Pop Up, Astérides, Friche la Belle de mai, Marseille, 2014
Texte publié dans le cadre du programme de suivi critique des artistes du Salon de Montrouge, avec le soutien de la Ville de Montrouge, du Conseil général des Hauts-de-Seine, du Ministère de la Culture et de la Communication et de l'ADAGP.




LA FORME QUOI
Extrait du texte de Vincent Labaume, commissaire de l'exposition La tradition du dégoût, Galerie Christophe Gaillard, Paris, 2012

(...) Chez Nicolas Momein,  qui a derrière lui une solide expérience d'artisan tapissier, l'idée git en fœtus dans une forme matérielle qui la révulse. Produisant des sortes de "déchets" de design (ou de design déchu), il intente d'emblée à sa production déjà considérable un procès en signification interminable : sont-ce des projets avortés ou des avortements de projets ? Chaque objet semble un produit dérivé d'un manquement programmatique, comme si l'inconscient affecté aux tâches fonctionnelles subalternes s'attachait à mimer les choses courantes comme un embouteillage de vanités. Chacun est le fruit d'un geste simple : mouler, coller, carder, tailler, souder, stratifier, etc., mais chaque geste s'emporte vers son dérapage, sa précision excessive, et au lieu, semble-t-il, de coopter la matière élue à l'idée visée, aboutit à une forme intermédiaire, au design comme flouté et anarchique, avorté. A l'heure où tout est devenu design, Momein en "fakirise" la fonction comme fondement magique à une stature d'œuvre ! (...)