Documentation et édition en art contemporain — Artistes visuels de la région Auvergne-Rhône-Alpes

Samuel ROUSSEAU

créé le 19 Décembre 2011

Textes ci-dessous :

  • Le motif dans le tapis, Françoise Parfait, 2011
  • L'échapée belle, Philippe Piguet, 2003

 

Textes disponibles dans le dossier en ligne :

 

 

LE MOTIF DANS LE TAPIS
Par Françoise Parfait
Catalogue ADIAF / Le Prix Marcel Duchamp, 2011

Pour Henry James, le secret de son œuvre se tenait caché dans la trame des récits et les volutes du motif ; de même, Samuel Rousseau a souvent dissimulé ses sujets dans des mises en scène où l'objet, la technologie et l'espace conjuguent des images apparemment simples mais qui cachent des « secrets » que le visiteur prend plaisir à déchiffrer. Dans un certain nombre de ses productions vidéo et numériques, les images viennent, en effet, se loger là où on ne les attend pas, dissimulées dans des motifs décoratifs (les Papiers peints vidéo, 2003), enchâssées dans des objets de rebus, agitant discrètement les reliefs d'écrans-objets qu'elles recouvrent comme une peau. Fréquemment, elles mettent en scène des corps inadaptés à l'espace qui tente de les contenir, de manière humoristique souvent, pathétique parfois, et poétique toujours. Beaucoup trop grand pour le bâtiment qui l'abrite  (Le Géant, 2003), minuscule dans la ville générative et dévoreuse de Plastikcity (2005) et le tapis persan de Jardins nomades (2007), ou réduit à la dimension d'une cellule dans les blisters médicamenteux de Chemical House, (2009-2010), le corps seul ou multiplié anime les images par des micro mouvements quasi browniens, s'insinue dans tous les recoins, occupe toutes sortes d'espaces, objets ou bâtiments, immenses ou trop petits, hors échelle.

Un élan vital traverse une grande majorité des travaux de Samuel Rousseau : le vivant s'y manifeste aussi bien dans le grouillement aléatoire ou l'agitation canalisée de petites silhouettes dans de larges espaces, que dans les poussées organiques d'un corps qui veut se libérer d'un espace contraignant (Maternaprima, 2006, Le Géant). Dans tous les cas, le corps isolé et le corps en nombre, ont du mal à trouver leur place dans un monde industriel, standardisé, inadapté le plus souvent à leur condition. La condition humaine, question universelle, est évoquée par l'artiste comme une tentative, sans cesse recommencée, de s'extraire de la boîte - l'objet, le bâtiment, la ville, la mégalopole qui voudrait le retenir et le fixer, d'en repousser les murs et d'ouvrir sur un infini imaginaire inouï.

Samuel Rousseau est un artiste qui invente des formes, explore leur capacité à produire du poétique ; usant de matériaux divers, récupérant des objets relégués au rang de déchets (bidons, bouche d'égout, emballage), utilisant la technologie avec une précision toute horlogère, il cherche les solutions techniques les mieux adaptées pour que précisément la technique s'efface derrière la force et la présence de l'image produite. Ces œuvres sont alors libres d'évoquer le monde animal, le monde industriel et urbain, emprunter à la science fiction ou à l'imaginaire de la bande dessinée et du cinéma. Elles peuvent faire le grand écart entre une évocation de Métropolis ou une vanité moderne en écho aux TV Bouddha de Nam June Paik. Création d'une illusion, fragile comme un souffle, entre un objet réel et une image possible de celui-ci : une flamme électrique et des feuilles numériques peuvent ainsi réanimer la bougie éteinte (Un peu d'éternité, 2009) ou le tronc d'un arbre nu (Sans titre (L'arbre et son ombre), 2008-2009), mais tout cela reste provisoire, à l'image de la vie.

 

 

 

L'ÉCHAPÉE BELLE
Par Philippe Piguet
Catalogue d'exposition, Museu d'Art de Sabadell, Espagne, 2003

Projetée dans la pénombre, sur la marche la plus basse d'un escalier, l'œuvre vidéo de Samuel Rousseau intitulée "P'tit bonhomme" ne manque jamais de retenir l'attention réjouie du spectateur. Elle montre en effet un homme au format lilliputien qui ne cesse de sauter en l'air dans l'espoir d'attraper le rebord de la marche qui est au-dessus de lui mais, hélas ! tous ses efforts restent vains. À chaque essai, il se ramasse le cul par terre, puis se relève, reprend courage et force, concentre son énergie et se lance à nouveau à l'assaut de l'insurmontable paroi : rien n'y fait, tout est à recommencer - et la bande se déroule en boucle comme pour mieux sanctionner l'impossible défi. Du rire, le spectateur passe peu à peu à une sorte de retenue compatissante qui en dit long sur la dimension somme toute dramatique de la situation.

Dans son ouvrage consacré au rire, le philosophe Henri Bergson a magnifiquement analysé les mécanismes qui mettent à l'épreuve nos nerfs zygomatiques. Le chapitre sous-titré "De la mécanique plaquée sur du vivant" l'envisage sous l'angle duel de la comédie et de la tragédie, soulignant comment l'un entraîne l'autre à l'instar de ce qui fonde l'œuvre de Buster Keaton. En d'autres temps, Albert Camus, un autre philosophe, a quant à lui décrypté ce qu'il en était du Mythe de Sisyphe, mettant en exergue le non-sens du monde et l'obligation pour la condition humaine de trouver le bonheur au sein même de l'absurde.

Placer la démarche de Samuel Rousseau à l'aune de cette duelle et prestigieuse tutelle pourra paraître excessif. Peut-être. Il n'en reste pas moins que, d'une part, les procédures mises en œuvre dans son travail en appellent à toute une mécanique qui joue tant du programmatique que de l'aléatoire et de l'attendu que de l'imprévisible et que, d'autre part, Sam - comme il se nomme lui-même - n'a pas son pareil pour charger les dimensions conjuguées de l'absurde et du non-sens d'une rare dose poétique. Parce que le poème - entendu au sens épique du terme - a cette qualité d'être tout à la fois dédié tant au bonheur qu'au drame de l'existence, il est le vecteur dynamique qui motive l'artiste à l'œuvre. Touche-à-tout plein d'invention, exploitant les ressources des techniques les plus sophistiquées - logiciels de développement, de montage d'images et de sons... -, comme celles des matériaux les plus élémentaires - bouteilles plastiques, pelle de chantier, machine à laver... -, Samuel Rousseau est un artiste inclassable. Il défie les lois de tous les genres par un goût irrépressible de l'expérimentation et par une permanente remise en question de nos habitudes perceptives. Rien n'excite plus son imaginaire que de s'en prendre à des clichés éculés et de les faire basculer du côté de l'incongru, comme il transforme par exemple de vieux canevas encadrés, kitsch à souhait, en d'étonnantes images animées. Une autre façon de jouer sur les deux tableaux du ludique et de la dérision, tout comme de la collusion du vulgaire et de l'artistique.

Il en va de même de ses papiers peints vidéos qui procèdent de la projection au mur de motifs en mouvement décuplés à l'envi et dont l'immatérialité le dispute à la lourde contingence des moyens techniques mis en œuvre. Quoique rendu à un état exclusivement formel, le répertoire iconographique que Samuel Rousseau s'est inventé en ce domaine n'est pas sans renvoyer à ce qui fonde sa démarche. Il use tantôt de toutes sortes d'ustensiles de cuisine, de légumes ou de fleurs pour composer de véritables tapisseries ornées, tantôt de simples figures géométriques qui sont déduites d'un programme informatique en langage java dont la matière est une succession de chiffres et de mots et qui "décide" lui-même parmi des millions d'options de la couleur, de la forme et de la fréquence des motifs projetés.

Entre le petit monde du quotidien, voire celui de l'insignifiant et de l'ignoble - entendu au sens de "non noble" - et l'univers élaboré à l'excès des technologies nouvelles, l'art de Samuel Rousseau se joue des apparentes contradictions. De ce qui les distingue tout en les rendant complices. Il les cultive pour mieux nous entraîner à la découverte d'un inconnu dont il est le seul à pouvoir nous ouvrir les portes. Tout à la fois bricoleur, savant et magicien, Sam appartient à cette rare famille d'artistes qui se joue du trafic du sens pour le détourner au bénéfice de l'inédit, de l'impertinent et, pour tout dire, du fabuleux. Parce que la fable s'offre comme le lieu par excellence d'un récit à base d'imagination, c'est-à-dire d'une fiction, et qu'elle est à même d'indiquer une échappée et, par delà les vicissitudes de l'existence, une possible sortie.